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Organisées par les Archives de l’État de Fribourg (AEF), en collaboration avec l’Université de Fribourg, le centre de consultation LAVI (Loi fédérale d’aide aux victimes d’infractions) du Service de l'enfance et de la jeunesse du canton de Fribourg et la Société d’histoire du canton de Fribourg, les deux journées d’étude sur les mesures de coercition à des fins d’assistance se sont déroulées les 28 et 29 septembre 2018. Cet événement national avait pour objectif une rencontre entre archivistes, historiens, responsables des centres LAVI et de l’action sociale, et des personnes concernées par les mesures de coercition à des fins d’assistance. Les différentes interventions ont abordé les acquis de la recherche, la conservation des sources d’archives, l’accompagnement des personnes concernées, ainsi que les enseignements à tirer pour affronter les problèmes qui persistent encore aujourd’hui. Le processus de réhabilitation des victimes était également au cœur des discussions.
La journée du vendredi s’est ouverte par un mot de bienvenue prononcé par ANNE-CLAUDE DEMMIERRE, Conseillère d’État du canton de Fribourg et directrice de la santé et des affaires sociales. Ensuite, la première session concernait l’accueil dans les archives des victimes de mesures coercitives. RETO BRAND, chef de l’Unité MCFA (mesures de coercition à des fins d'assistance et aux placements extrafamiliaux antérieurs à 1981), CHRISTIAN GILLIÉRON (ancien archiviste adjoint des archives cantonales vaudoises en charge des recherches concernant les mesures de coercition), STEFAN JAEGGI (historien et archiviste aux Staatsarchiv Luzern) et CHARLES-ÉDOUARD THIÉBAUD (collaborateur aux AEF et responsable des recherches pour les enfants placés), ont tour à tour expliqué la manière dont leurs bureaux respectifs ont procédé pour reconstituer les « dossiers » des personnes concernées, les informations étant la plupart du temps dispersées. Dans une perspective de comparaison intercantonale, ces quatre intervenants ont donné quelques statistiques sur le nombre de demandes reçues, la manière dont elles ont été traitées et les fonds consultés pour retrouver les informations souhaitées. Ils ont également discuté de la question épineuse de la protection des données, qui influe sur le choix entre conservation intégrale des dossiers et conservation par échantillonnage seulement.
Une table ronde sur la réhabilitation des victimes a suivi cette première session, réunissant trois des intervenants précédents (Christian Gilliéron, Stefan Jaeggi et Reto Brand), auxquels sont venues s’ajouter GABRIELA MERLINI (une personne concernée), ANNE-FRANCOISE PRAZ, (professeure d’histoire contemporaine à l’Université de Fribourg et membre de la Commission indépendante d’experts pour les internements administratifs (CIE)), et NICOLE WINDLIN (Service de recherche de la Croix-Rouge, actif dans la réunion des familles dispersées). Anne-Françoise Praz a mis en avant la forte mobilisation des personnes concernées pour faire reconnaitre l’injustice dont elles ont été victimes. Gabriela Merlini a regretté un certain manque d’écoute pour les personnes concernées dans un processus qui a été très rapide. Ces regrets, ainsi que des revendications demandant des mesures plus en adéquation avec les besoins des personnes dans la précarité, ont été relayés par plusieurs personnes concernées, présentes dans le public.
La matinée s’est terminée par l’intervention d’ALEXANDRE DAFFLON, archiviste cantonal aux AEF, qui, après avoir évoqué le paysage archivistique suisse, a tiré quelques enseignements en matière de méthodes et de pratiques de l’archivage des documents publics.
La seconde partie de cette première journée a été marquée par plusieurs témoignages de personnes concernées. URS ALLEMANN a parlé avec émotion de son parcours de vie et des difficultés qu’il a rencontrées lorsqu’il s’est retrouvé confronté à son dossier, tandis que ZITA NEUHAUS (proche d’une personne concernée) a expliqué le parcours du combattant qu’elle a dû entreprendre pour avoir accès aux informations voulues. L’association ATD Quart-Monde (représentée par JEAN-ROBERT SAFFORE, MICHÈLE PIGUET et VÉRONIQUE MARTOU) a insisté sur la perpétuation du problème : un témoignage filmé montrait la succession des placements de génération en génération au sein d’une même famille, tandis qu’un témoignage oral évoquait les rapports difficiles d’une personne concernée avec les autorités scolaires de ses propres enfants.
En lien avec les témoignages précédents, une seconde série d’interventions était dédiée aux réflexions suscitées par le récit des victimes de mesures coercitives. LAETITIA BERNARD (Centre LAVI du canton de Fribourg) a proposé quelques observations sur le vécu des anciens enfants placés, notamment les conséquences bio-psycho-sociales que leur situation a engendrées. CATHERINE CONTI(psychologue, centre LAVI) et ELISABETH RIPOLL (psychothérapeute) se sont interrogées sur la « bonne aide » à apporter et ont présenté un outil original créé pour aider les personnes concernées dans leur récit de vie.
Une seconde table ronde, réunissant certains intervenants précédents (Catherine Conti, Urs Allemann, Laetitia Bernard) auxquels se sont joints CLAUDINE LERF (Juge de paix à Morat), ANNE-CLAIRE BRAND (volontaire permanente ATD Quart-Monde) et SANDRINE GAFNER (Service de l’enfance et de la jeunesse de Fribourg), était consacrée aux enseignements à tirer pour la pratique d’aujourd’hui. Les discussions se sont focalisées sur les valeurs véhiculées par la société et qui conditionnent les réactions des professionnels, ainsi que sur le bien-être des enfants placés, ou encore sur l’effet pervers du regard vers le passé pour traiter des affaires récentes. Les personnes concernées présentes dans le public ont quant à elles insisté sur le fait qu’elles ont été entendues, mais non pas comprises par les autorités ; elles attendent une aide qui leur corresponde et qui soit en adéquation avec leurs demandes.
Cette première Journée d’étude sur les mesures coercitives à des fins d’assistance s’est conclue par l’intervention de STÉPHANE QUÉRU, chef du Service de l’enfance et de la jeunesse du canton de Fribourg, qui est revenu, en guise de synthèse de la journée, sur des mots marquants : culpabilité, peur, honte, souffrance.
La journée du 29 septembre 2018, quant à elle, était consacrée à la recherche historique sur les mesures de coercition à des fins d’assistance. Trois objets d’étude principaux ont été abordés. Tout d’abord, les chercheurs ont évoqué les placements d’enfants « entre bricolage et régulation » : Charles-Édouard Thiébaud a évoqué quelques pistes de recherche issues des expériences récentes des archivistes, et est revenu sur les différents types de placements (placements parentaux, placements étatiques, placement communaux).
Une deuxième session était consacrée au passage de l’internement administratif aux mesures de privation de liberté à des fins d’assistance (PLAFA). Dans une première intervention, MATTHIEU LAVOYER et EMMANUEL NEUHAUS (historiens et chercheurs pour la CIE) ont présenté les bases légales régissant les internements administratifs avant 1981, ainsi que les pratiques juridiques et le devoir de surveillance des autorités dans les cantons de Vaud et Fribourg. Leur conclusion consistait à démontrer que le nouveau cadre légal de 19811 est le fruit d’une continuité historique, et ne constitue pas une réelle rupture avec les bases légales et les pratiques précédentes. Une deuxième intervention a été conduite par CRISTINA FERREIRA (sociologue à la Haute École de santé du canton de Vaud) et LUDOVIC MAUGUÉ (historien et chercheur pour la CIE), qui ont comparé les résistances critiques et les tactiques de contournement lors de l’introduction des mesures PLAFA dans les cantons de Vaud et du Valais. Ils ont notamment mis en lumière le rôle central des psychiatres et des médecins.
La dernière session de la matinée portait sur les résistances au changement social. LORRAINE ODIER (sociologue et chercheure pour la CIE) et Anne-Françoise Praz ont commencé par exposer l’internement administratif des femmes, interprété comme révélateur des crispations des rapports de genre. CHRISTELLE GUMY (historienne des sciences et directrice de recherche pour la CIE) a ensuite évoqué la question de la surveillance et du placement des adolescents par la justice vaudoise. Enfin, MIRIAM BAUMEISTER (historienne et doctorante à l’Université de Bâle et à la Haute École pédagogique de Lucerne) a évoqué les petits espaces de liberté que les enfants placés dans le canton de Bâle arrivaient à s’octroyer.
Ces Journées d’études sur les mesures de coercition à des fins d’assistance se sont conclues en début d’après-midi par de nombreuses questions adressées aux intervenants, ainsi que par des prises de position des personnes concernées. Les discussions se sont poursuivies lors d’un apéro dînatoire offert à tous.
Signalons en guise de conclusion la variété et la qualité des interventions pour la thématique abordée. En effet, le regard croisé des historiens, archivistes, collaborateurs des Centres LAVI, psychologues et psychothérapeutes ainsi que des personnes concernées a donné lieu à une ouverture interdisciplinaire sur la question des mesures de coercition à des fins d’assistance, et permis de montrer les bénéfices d’une approche mêlant travail sur le passé et réflexions pour l’avenir.
Note
1 Sept ans après la ratification de la Convention européenne des droits de l’homme par la Suisse, le placement à des fins d’assistance (PLAFA ou PAFA) a été introduit dans le Code civil suisse, abrogeant les lois cantonales sur les internements administratifs. « Sur la base de ces dispositions les autorités pouvaient continuer de placer des personnes contre leur volonté ou pour leur propre sécurité. Cependant, les conditions selon lesquelles une telle intervention pouvait être décidée étaient désormais fixées par une loi nationale définie sur la base des droits fondamentaux des hommes et des femmes. Jusqu’à l’introduction du PAFA, presque tous les cantons étaient dotés de dispositions sur les internements, qui, à quelques exceptions près, ne prévoyaient aucun recours judiciaire ». Voir : Site internet de la CIE Internements administratifs : https://www.uek-administrative-versorgungen.ch/fr/Glossaire.2.html.
Programme du colloque
Vendredi 28 septembre 2018
• Mot de bienvenue des autorités fribourgeoises (Anne-Catherine Demmierre)
• Les expériences réalisées avec l’accueil des victimes de mesures coercitives (Reto Brand, Christian Gilliéron, Stefan Jaeggi, Charles-Édouard Thiébaud)
• Table ronde : les professionnels et la question de la réhabilitation
• Quels enseignements en matière de méthodes et de pratiques de l’archivage des documents publics ? (Alexandre Dafflon)
• Témoignage d’une personne concernée (Urs Allemann)
• Les réflexions suscitées par le récit des victimes de mesures coercitives (Laetitia Bernard, ATD Quart-Monde)
• Témoignage d’une personne concernée (Zita Neuhaus)
• Table ronde : Quels enseignements pour la pratique d’aujourd’hui ?
• Mot de la fin (Stéphane Quéru)
Samedi 29 septembre 2018
• Les placements d’enfants entre bricolage et régulation (Charles-Edouard Thiébaud)
• De l’internement administratif à la privation de liberté à des fins d’assistance (PLAFA) (Matthieu Lavoyer/Emmanuel Neuhaus et Cristina Ferreira/Ludovic Maugué)
• Les mesures de coercition à des fins d’assistance : résistance au changement social ? (Lorraine Odier/Anne-Françoise Praz, Christel Gumy et Miriam Baumeister).