Organisatrice : Stéphanie Pache
Participants : Guillermo de Eugenio, Stéphanie Pache
Modération : Alain Giami
Le panel, organisé par STÉPHANIE PACHE, visait à offrir une réflexion sur le pouvoir « psy » (c’est-à-dire psychiatrie, psychologie, psychanalyse, psychothérapie) en regard des multiples approches scientifiques plutôt conciliantes ou au contraire clairement critiques face à ces institutions et leur discours. Par un exposé consacré d’abord à une thématique spécifique, abordée sur un plan chronologique et théorique, puis par une présentation historiographique de la psychothérapie, le panel a offert un certain nombre de perspectives sur les rapports de pouvoir, de domination et d’autonomie.
Dans la première contribution, GUILLERMO DE EUGENIO a proposé quelques éléments pour histoire du sadomasochisme, présentant une généalogie de ce sujet changeant depuis le XIXe siècle, envisagé aussi bien comme un objet de connaissance pour les sciences « psy », un sujet littéraire né avec Léopold von Sacher-Masoch et des pratiques érotiques spécifiques. En tant que comportement remettant en cause les rapports de pouvoir et questionnant la normativité des pratiques sexuelles (renversement des rôles, douleur physique comme source de plaisir), le SM n’a pas été considéré par Foucault comme une libération de forces agressives enfouies, mais comme une transgression, une érotisation du pouvoir social, offrant de nouvelles possibilités d’utilisation du corps dans l’exercice de sa liberté. Prôné en tant que pratique contestataire et instrument émancipateur, le sadomasochisme n’a cependant été défendu que par une minorité des milieux lesbiens, qui vantait, dans une conception foucaldienne, son pouvoir cathartique. Car les pratiques sadomasochistes ont également été largement dénoncées, en tant que réaffirmation des rôles établis et esthétisation de la violence antiféministe, réactionnaire et patriarcale [1].
Guillermo de Eugenio a ainsi opéré un retour sur une chronologie ternaire, depuis la conception par la psychiatrie classique du sadomasochisme comme perversion (1870-1920), puis son appréhension par la théorie psychanalytique, dans son acception morale (1920-1980), et enfin l’émergence des pratiques BDSM (depuis 1980). Évoquant Linda Hart, il a expliqué qu’il ne considérait pas ce dernier mouvement comme une mutation ou une évolution du SM, mais comme un phénomène nouveau, au potentiel transgressif, une confrontation des rapports entre plaisir et pouvoir qui constitue tout l’intérêt de son objet de recherche. Suite aux demandes de l’audience, des précisions ont ensuite été apportées quant à la politisation desdites pratiques durant les années 1940 aux États-Unis. ALAIN GIAMI est revenu sur un glissement opéré depuis les années 1990 : la perte d’importance du modèle hétéro-normatif et l’insistance récente sur le consentement au sein des comportements sexuels, posant la question de la dignité humaine et des pratiques dégradantes. Il a également souligné tout le potentiel de l’appareil critique de De Eugenio dans l’analyse des témoignages d’acteurs pornographiques récoltés par le psychanalyste et anthropologue américain Robert Stoller.
Dans la seconde partie, Stéphanie Pache a offert une perspective historiographique sur l’étude des pouvoirs « psy », en se penchant sur la proximité de la recherche historique avec les mouvements de contestations et leur importante teneur politique. Sa présentation est d’abord revenue sur les pères fondateurs Erving Goffman, Robert Castel et Michel Foucault, et sur les premières vagues d’études critiques des sciences « psy ». Son intervention a notamment insisté sur le décalage entre la recherche française et anglo-saxonne, en évoquant par exemple la méfiance américaine face aux institutions « psy », qui a permis, plus rapidement qu’en France, des travaux critiques. Elle a également rappelé le succès tardif des recherches de Foucault au début des années 1970 sur le territoire français. Stéphanie Pache s’est également penchée sur le rôle important de Robert Castel, à qui l’on doit l’introduction des travaux de Goffman en France, et surtout sur le bilan négatif tiré des mouvements des années 1960, accusés par l’auteur d’avoir fait le lit du capitalisme et d’avoir permis un triomphe néo-libéral.
Défendant une approche théorique féministe, une volonté de limiter le pouvoir « psy » et de développer un travail plus proche des personnes en thérapie, l’intervenante a vanté les mérites d’une histoire politique des institutions. Les auditeurs ont demandé un certain nombre de précisions quant aux revendications des groupes féministes, et notamment à propos de leur lutte pour l’autonomie de l’analysé (empowerement) et de la limitation du pouvoir de l’expert. Guillermo de Eugenio a ensuite évoqué la proposition très « soixante-huitarde » de Félix Guattari, suggérant de payer l’analysé, en le considérant comme l’exécutant majoritaire du travail de thérapie. Alain Giami a conclu en soulignant tout l’intérêt d’une réhabilitation de Robert Castel et de son œuvre « quasi prophétique ».
Offrant un panorama concis et synthétique de problématiques riches, les deux interventions ont fait l’objet de véritables partis pris de la part de leurs auteur-e-s, qui ont souligné les enjeux socio-politiques de leur objet de recherche en matière de relations de pouvoir. Les deux intervenant-e-s se sont emparé-e-s de l’héritage foucaldien en le remettant en perspective, sans pour autant en faire une finalité, ce qui leur a évité de prononcer des sentences, et leur a permis de proposer des ouvertures et des perspectives de recherche stimulantes.
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[1] LINDEN Robin Ruth… et al., Against sadomasochism, San Francisco, Frog in the Well, 1982.
Aperçu du panel
DE EUGENIO Guillermo, Du sadomasochisme au SM : Objet psychiatrique ou pratique de soi ? Une interview avec Michel Foucault
PACHE Stéphanie, Pouvoirs et contraintes dans l’histoire des psychothérapies