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Recherches récentes et actuelles sur la politique suisse face aux réfugiés pendant la Seconde Guerre mondiale

Autor / Autorin des Berichts: 
Michèle Fleury-Seemüller, ex-collaboratrice des Documents diplomatiques suisses et de la Commission Bergier



Citation: Fleury-Seemüller Michèle, « Recherches récentes et actuelles sur la politique suisse face aux réfugiés pendant la Seconde Guerre mondiale », infoclio.ch comptes rendus, 2013. En ligne: infoclio.ch, <http://dx.doi.org/10.13098/infoclio.ch-tb-0062>, consulté le


Depuis des années la discussion autour du nombre des personnes refoulées à la frontière suisse pendant la Seconde guerre mondiale s’enflamme régulièrement. Il semble que malgré les estimations très précautionneuses du rapport final de la commission Bergier, cette dernière se trouve périodiquement accusée d’avoir exagéré les chiffres. (Le rapport intermédiaire sur les réfugiés ainsi que le rapport final se trouvent en ligne ). Il était donc important qu’une discussion publique ait lieu permettant de faire le point sur les recherches les plus récentes et de réfléchir sur la pertinence des chiffres et des catégories de réfugiés, et c’est sous le patronage de la Société suisse d’histoire qu’elle a été organisée le 26 avril 2013 à l’Université de Berne.

Avec son mot de bienvenue, BRIGITTE STUDER pose d’emblée les problèmes fondamentaux. L’histoire est toujours un « work in progress », nous dit-elle, amenant de nouvelles questions et perspectives qui permettent de jeter un regard neuf sur le passé. L’histoire se situe au cœur de conflits intellectuels, sociétaux, politiques et médiatiques parce qu’elle concerne tout le monde. Seulement les différents intérêts qui en découlent peuvent être instrumentalisés, il est donc nécessaire de soumettre l’interprétation du passé à des règles scientifiques. Il ne faut pas mélanger une perception émotionnelle de l’histoire et l’élaboration scientifique d’une problématique historique. Derrière le conflit sur les chiffres se cache en fait l’interprétation des événements survenus dans le passé. En contestant de façon péremptoire les chiffres élaborés sur la base d’une documentation historique sérieuse et en reprochant aux historiens d’avoir travaillé sans soin, on tente de délégitimer leur interprétation, dans ce cas l’interprétation de la politique de la Suisse face aux réfugiés pendant le national-socialisme.

GEORG KREIS dans son introduction remarque que Brigitte Studer a posé la problématique centrale du débat d’aujourd’hui. Cette controverse ne s’explique pas par un intérêt pour l’histoire ou par l’empathie envers les victimes. Elle sert à discréditer les travaux de la commission Bergier qui n’avait d’ailleurs pas pour tâche principale d’étudier la politique des réfugiés mais de mener des « recherches historiques et juridiques sur le sort des avoirs ayant abouti en Suisse à la suite de l’avènement du régime national-socialiste » (Arrêté fédéral du 13 décembre 1996). On n’a pas hésité d’accuser la commission de mensonges et de diffusion de contre-vérités. Et il y a quelques jours une motion a été déposée demandant au Conseil fédéral « de mettre sur pied une commission d’historiens neutres » afin de déterminer le nombre de personnes refoulées à la frontière suisse. La commission Bergier n’a rien à craindre d’une telle investigation et elle n’exclut pas que de nouvelles recherches puissent demander une révision de ses résultats. Le débat d’aujourd’hui n’est pas conçu comme un exercice de défense de la commission mais comme un échange public entre experts. Trois historiens qui n’ont pas fait partie de la commission vont prendre la parole : Christian Favre, Ruth Fivaz-Silbermann et Fabrizio Panzera. Guido Koller des Archives fédérales exposera son étude sur laquelle s’est basée la commission. Serge Klarsfeld a été invité mais n’a pas pu venir pour des raisons d’agenda.

MARC PERRENOUD retrace en grandes lignes le mandat de la commission Bergier ainsi que la politique suisse face aux réfugiés. Il rappelle quel était le mandat central et celui concernant les réfugiés. En mars 2002, la commission publie son rapport de synthèse ainsi que 25 volumes traitant des différents problèmes étudiés, p. ex. le clearing, le transit ferroviaire, la place financière et les banques suisses, les transactions sur l’or, etc. Pour le rapport sur les réfugiés, la commission s’est basée sur les statistiques élaborées par Guido Koller des Archives fédérales concernant les admissions et les refoulements des réfugiés en général et non uniquement des réfugiés juifs et a traité les événements majeurs concernant les réfugiés : en 1938, l’Anschluss, la conférence d’Evian, les négociations aboutissant au tampon J ; en 1942, les informations sur la Shoah arrivées à Berne, la fermeture de la frontière, la contestation de la politique face aux réfugiés. Pour cela, elle s’est fondée sur une large documentation écrite. Lors de la présentation du rapport en 2002, Jean-François Bergier a déclaré entre autres : « L’incertitude qui règne sur les chiffres et les spéculations auxquelles cette incertitude conduit n’y changent rien : un grand nombre de gens menacés dans leur vie furent refoulés, sans nécessité … ».
La commission a estimé que 20'000 personnes ont été refoulées durant la guerre sans qu’il soit possible de connaître la motivation et l’identité d’une grande partie d’entre eux. Le nombre exact de juifs qui n’ont pas trouvé refuge sur le territoire helvétique ne peut donc pas être élucidé. Ce qui est certain, par contre, c’est que depuis la Première Guerre mondiale la Suisse a développé une politique discriminatoire envers les juifs, et que dès l’avènement des nationaux-socialistes au pouvoir, elle s’est considérée comme pays de transit refusant de reconnaître comme réfugiés politiques les personnes fuyant pour causes raciales. Le refoulement aussi, précise Marc Perrenoud, doit être analysé sur une période longue, en 1932 p. ex., 16'000 personnes ont été refoulés.

CHRISTIAN FAVRE, auteur d’une thèse publiée en 2010, souligne d’emblée que celle-ci ne traite pas spécifiquement du refoulement, quoique ce thème se retrouve tout au long de son travail. Sur la base d’une série d’épisodes, Christian Favre démontre les différentes formes que peut prendre le refoulement ainsi que les comportements contrastés des acteurs à la frontière – douane et armée. Dès 1938, la Suisse pratique des refoulements clandestins en acheminant des juifs autrichiens à travers la Suisse pour les expulser sur territoire français. Il est évidemment impossible d’indiquer le nombre de personnes concernées, ni leur identité. Avec la débâcle française en juin 1940, plus de 30'000 civils et 50'000 soldats français sont accueillis. La plupart des civils quittent très vite la Suisse, les soldats sont internés. Par contre, 2000 républicains espagnols qui tentent de passer en Suisse avec les soldats français sont refoulés et parfois livrés aux troupes allemandes. Cet accueil massif sert à construire l’image d’une Suisse « terre d’accueil au cœur de l’Europe ». Si les passages ont été relativement peu fréquents entre 1940 et 1942, la frontière voit arriver jusqu’à 20 réfugiés par jour à partir d’août 1942. Plusieurs mesures sont prises : les garde-frontières sont avisés à exercer des contrôles très sévères ; la population des villages frontaliers est incitée à ne plus transgresser la frontière ; le commandant des douanes suisses en charge des régions de Vaud et de Neuchâtel s’accorde avec ses homologues allemands pour leur livrer les réfugiés arrêtés en Suisse. La frontière suisse est surveillée d’une part par les garde-frontières, d’autre part par les soldats mobilisés. Ces derniers sont jugés inefficaces par les garde-frontières entravant le service par des attitudes émotionnelles et laissant passer trop de réfugiés. Dès l’hiver 1942-43, des maquisards français utilisent la frontière pour fuir, se ravitailler, se reposer, et sont durement refoulés par les garde-frontières.
Christian Favre conclut donc de la difficulté d’arriver à des résultats cohérents et exacts. En plus, il y a des archives qui font défaut et les données obtenues ne permettent pas souvent de les interpréter correctement : « Il paraît dès lors illusoire de chercher à connaître à tout prix la comptabilité exacte de l’ensemble des passages et des refoulements opérés aux frontières du pays durant la guerre. »

RUTH FIVAZ SILBERMANN tient à préciser qu’elle ne considère pas la commission responsable de la mauvaise querelle sur les chiffres. Elle désire que le faux chiffre de 24'000 juifs refoulés disparaisse de la discussion publique. Selon toute probabilité, 3300 refoulements de juifs ont eu lieu à la frontière franco-suisse, quelques centaines à la frontière italienne et très peu à la frontière avec l’Allemagne. Elle précise que ses recherches portent sur toute la frontière franco-suisse de Belfort au massif du Mont-Blanc pendant la période de la guerre. La documentation est lacunaire sur la période septembre 1939 au printemps 1942, date à laquelle elle devient exploitable. Dans son travail, il est question uniquement de refoulements. Ruth Fivaz-Silbermann présente ensuite les sources disponibles et manquantes dans le Jura bernois, dans les cantons de Neuchâtel, Vaud et Genève. Elle ne s’est pas contentée de consulter les archives suisses mais a aussi vu les archives du côté français. Elle arrive à 3319 refoulements ce qui correspond à environ à 2'600 personnes.

FABRIZIO PANZERA nous présente le fonds Rifugiati 1943-1945 des Archives d’Etat du canton du Tessin. Ce fonds provient du fichier des personnes établi par le Commandement territorial 9b. Il ne contient pas seulement des indications sur les réfugiés, les contrebandiers et les passeurs y sont inclus, ainsi que les militaires italiens ayant fui les camps d’internement suisse et qui veulent se faire rapatrier. Ce fonds a été mis sur une banque de donnée et contient les informations majeures sur 13'596 expatriés, en majorité des Italiens. 33 % de tous les réfugiés civils ont été accueillis à la frontière suisse-italienne. Dans l’arrondissement territorial 9b, 12’028 civils et 26’716 militaires ont franchi la frontière de septembre 1943 à mai 1945. En octobre 1943, 589 juifs ont été accueillis dans ce même arrondissement. La documentation des archives et les statistiques établies permettent de dire que parmi les 9833 civils refoulés indiqués dans les statistiques de Guido Koller se trouvent probablement aussi des militaires.

GUIDO KOLLER nous rappelle la virulence du débat de 1996 qui a porté essentiellement sur les fonds en déshérence. A cette période, Yad Vashem a demandé aux Archives fédérales suisses de leur fournir les noms des refugiés juifs refoulés ce qui a permis de continuer l’inventaire et la mise en valeur des sources débutées en 1994. C’est sur ce travail que Guido Koller s’est basé pour élaborer ses statistiques qui ont été reprises par la commission pour son rapport sur les réfugiés. Il s’est également appuyé sur le Rapport Ludwig. Ludwig s’est fondé sur un fichier des refoulements nominaux qui a probablement été détruit en 1956. Avec les Archives fédérales, Guido Koller indique que 10'000 personnes enregistrées nominalement ont été refoulées ; on a aussi pu établir qu’il y a eu 24'400 refoulements anonymes et 14'500 de demandes d’entrée en Suisse refusées. Guido Koller pense que la remarque de Fabrizio Panzera est juste, mais il souligne que la politique de la Suisse servait avant tout à dissuader les réfugiés de se présenter à la frontière. Selon Koller, l’opposition entre les statistiques et l’histoire est à mettre en parallèle avec l’opposition entre le discours sur la surpopulation étrangère et la tradition humanitaire de la Suisse. Les chiffres seuls ne fournissent pas d’explication historique.

JAKOB TANNER, en clôturant cette série d’exposés, retourne aux bases de l’histoire. L’histoire commence par des questions, ensuite s’échafaudent des hypothèses, puis on aborde les faits. Mais les faits ne prennent sens qu’avec un questionnement préalable. Il s’agit d’interpréter les faits, et les interprétations peuvent différer. Nous nous mouvons dans des vraisemblances. Que recherchons-nous ? Des faits ? Des personnes ? La problématique dans le cas de la politique face aux réfugiés s’approfondit lorsqu’on inclut le discours sur la dissuasion et qu’on se situe dans un contexte européen. Qu’est-ce qui est plus important : les chiffres ou la politique d’un Etat ?
Si on se situe dans la logique des médias, on est condamné à toujours répéter des savoirs établis. Les détracteurs d’aujourd’hui ne connaissent pas les travaux, leur position est : Right or wrong, my country. C’est ce que nous combattons en tant qu’ historiens.

Ces exposés ont été suivis par de nombreuses questions adressées aux intervenants.

Les textes des différents intervenants, ainsi qu’une revue de presse sur la discussion sont disponibles sur le site de la Société suisse d’histoire.

Programme
Mots de bienvenue : Brigitte Studer, Berne

La situation initiale :
Brefs exposés de Georg Kreis, Bâle, et Marc Perrenoud, Berne

Les recherches les plus récentes :
Réfugiés juifs et non-juifs à la frontière occidentale : Christian Favre, Fribourg, Ruth Fivaz, Genève

Réfugiés juifs et non-juifs à la frontière méridionale :
Fabrizio Panzera, Cademario

Les recherches antérieures :
Brefs exposés de Guido Koller, Archives fédérales, et Gregor Spuhler, Archives d’histoire contemporaine

Ce que nous savons, ce que nous ne savons pas encore, ce que nous ne saurons jamais
Commentaires préliminaires de Jakob Tanner, Zürich

Podium avec Claude Hauser, Fribourg, et les autres personnes qui sont intervenues

Commentaires du public

Veranstaltung: 
Débat public "Recherches récentes et actuelles sur la politique suisse face aux réfugiés pendant la Seconde Guerre mondiale"
Organisiert von: 
Société suisse d'histoire (SSH)
Veranstaltungsdatum: 
26.04.2013
Ort: 
Université de Berne
Sprache: 
f
Art des Berichts: 
Conference