La centrale atomique de Mühleberg dans le canton de Berne cesse définitivement ses activités ce vendredi 20 décembre 2019. Une fin heureuse ? Plutôt le commencement d’un long chemin de croix. Son démantèlement devrait durer jusqu’en 2024. Ensuite, ce sont les déchets produits pendant ses 47 années d’activité – la centrale a été mise en service en 1972 – qui devraient occuper les prochaines générations. Au total, la centrale laisse en héritage près de 20'000 tonnes de résidus radioactifs.
De ceux-ci, quelques 2500 tonnes concentrent le 99% de la radioactivité ; celles-ci doivent impérativement être mises hors de portée de toute forme de vie pour les prochaines 200'000 années. 15'000 autres tonnes, considérées « moyennement radioactives », se contenteront d’une mise à l’abri pour une durée de 20'000 ans (Voir article Was von Mühleberg weiter strahlt, Der Bund, 17 déc. 2019).
200'000 ans. Les peintures rupestres découvertes cette semaine en Indonésie, qui passent pour les plus anciennes traces figuratives connues de l’espèce humaine, remontent à 40'000 ans. Voilà donc les effets collatéraux de l’énergie atomique : un fardeau appelé rayonner sur une durée équivalente à cinq fois l’histoire de l’humanité.
Ces chiffres donnent le vertige, et reflètent bien le décalage de représentation - caractéristique de notre rapport aux techniques modernes - entre ce que nous sommes capables de produire et ce que nous sommes capables d’imaginer.
Le premier à reconnaître ce biais fut le philosophe allemand Günther Anders (1902-1992), militant anti-nucléaire et critique de la modernité technique qui mériterait d’être relu aujourd’hui.
Dans son petit opuscule intitulé Si je suis désespéré que voulez-vous que j’y fasse ? (Editions Allia, 2016), il conclut avec un style qui rappelle incidemment celui de la jeune militante suédoise Greta Thunberg : « La tache morale la plus importante aujourd'hui consiste à faire comprendre aux hommes qu'ils doivent s'inquiéter et qu'ils doivent ouvertement proclamer leur peur légitime. Mettre en garde contre la panique que nous semons est criminel. »