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Leseträume. Lesen als Traum im 18. Jahrhundert / Rêves de lectures. Lire et rêver au XVIIIe siècle

Autor / Autorin des Berichts: 
François-Joseph Favey
francois-joseph.favey@unifr.ch
Université de Fribourg

Zitierweise: Favey, François-Joseph: Leseträume. Lesen als Traum im 18. Jahrhundert / Rêves de lectures. Lire et rêver au XVIIIe siècle, infoclio.ch-Tagungsberichte, 06.12.2021. Online: <https://www.doi.org/10.13098/infoclio.ch-tb-0235>, Stand: 08.11.2024.

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Le colloque international « Leseträume. Lesen als Traum im 18. Jahrhundert / Rêves de lectures. Lire et rêver au XVIIIe siècle », organisé par la Prof. Claire Gantet (Université de Fribourg) et le Prof. Helmut Zedelmaier (Ludwig-Maximilians-Universität München), s’est tenu les 28 et 29 octobre 2021 à l’Université de Fribourg, avec pour objectif d’étudier les rapports entre le rêve et la lecture dans une perspective pluridisciplinaire.1

Le rêve est un objet de recherche éminemment paradoxal, privé, non observable par autrui, peu contrôlable et seulement partiellement restituable par le sujet lui-même. À défaut d’établir un rapport direct avec cet objet de recherche, les sources dont disposent les chercheurs sont des récits écrits ou iconographiques du rêve. L’histoire du rêve est donc avant tout une histoire des lectures de récits de rêve.

Les relations entre lire et rêver soulèvent des questions majeures, de morale, d’histoire des sciences ou des savoirs, de littérature, de philosophie et d’histoire de l’art, d’où l’idée de ce colloque international et transdisciplinaire qui a réuni deux jours durant deux journées entières 19 participants en présentiels et une participante en distanciel.

CLAIRE GANTET (Fribourg) et HELMUT ZEDELMAIER (München) introduisent le colloque en définissant la problématique par le croisement des perspectives des différentes disciplines et soulignant notamment les évolutions des pratiques de lecture. Les effets du rêve agité (du « cauchemar ») ou du «songe lascif » sur la vie diurne font l’objet de discussions qui croisent celles sur les effets de la lecture, notamment celle des romans et notamment par des femmes. Les similitudes ne s’arrêtent pas là puisque les contemporains n’ont eu de cesse de chercher à « lire » les rêves et qu’on en vient, autour de 1800, à l’idée d’un langage onirique. Loin de se réduire au seul XVIIIe siècle, choisi comme point d’ancrage temporel de ce colloque, le thème parcourt aussi les XIXe et XXe siècles, jusqu’à Marcel Proust et Walter Benjamin notamment. ULRICH JOHANNES SCHNEIDER (Leipzig) présente ensuite une phénoménologie de la lecture appuyée sur des représentations iconographiques d’individus en train d’interrompre leur lecture et gardant un doigt dans le livre : lire est bien plus que déchiffrer, c’est entrer dans un monde intérieur en résonance avec des activités psychiques et somatiques. FLORENCE DUMORA (Paris) montre que la thématique du rêve qui se développe autour d’une lecture remonte à l’Antiquité et est réactivée à partir du XVIe siècle par Jérôme Cardan et plus encore au XVIIIe siècle lorsque des auteurs thématisent le plaisir à poursuivre la fiction romanesque par la fiction onirique, en mettant à distance le monde vigile. MAGDALENA BECKER (München) rappelle la récurrence des hiéroglyphes, mixtes d’images et de langage, et de rébus, dans la représentation iconographique du rêve et souligne l’évolution au XIXe siècle, lorsque sous l’influence du développement de la photographie, on s’efforce de représenter la fiction onirique comme des clichés d’impressions lumineuses.

Après cette session introductive, une session est consacrée au sujet « Noter, déchiffrer, agir » et diversifie les sources mobilisées en se penchant notamment sur des journaux intimes (diaires) et des revues. KARINE CROUSAZ (Lausanne) analyse les rêves d’un notaire de la région de Lausanne, qui les consigne dans son journal intime, vraisemblablement pour discipliner sa vie, y compris son rythme nocturne ; ses rêves peuplent la nuit du jeudi au vendredi, après la lecture des gazettes. SYLVIE MORET PETRINI (Lausanne) jette un regard complémentaire sur les journaux intimes de jeunes filles en âge de se marier et sur leur thématisation de leurs lectures romanesques. TIMOTHÉE LÉCHOT (Neuchâtel) met en exergue le jeu sur l’énigme du rêve et de ses significations dans les textes proposés chaque mois en énigme aux lecteurs du Mercure de France au XVIIIe siècle ; ce faisant, il souligne la plurivocité du terme « songe ». FRANÇOIS-JOSEPH FAVEY (Fribourg) souligne quant à lui le marché de la lecture de rêve dans les nombreuses martingales (clés des songes annonçant les numéros de la loterie) qui paraissent aux XVIIIe et XIXe siècles.

La section suivante est consacrée aux « lectures et rêve dans les contextes anglophones et germanophones ». CARSTEN ZELLE (Bochum) souligne les multiples emplois d’images et de lectures dans l’œuvre très originale intitulée Träume de Johann Gottlob Krüger. YVONNE WÜBBEN (Bochum/Berlin) étudie le recours au thème antique du rêve de Calpurnia dans l’œuvre théâtrale conçue pour être lue de Johann Jakob Bodmer. SABINE HAUPT (Fribourg) se penche sur l’œuvre de Jean Paul et sa thématisation de la lecture féminine rêveuse. DIMITER DAPHINOFF (Fribourg) retrace le recours aux rêves de lecture et à leurs illustrations dans la gothic novel anglosaxonne au cours du « long XVIIIe siècle ».

La dernière section, intitulée « Constellations francophones » commence par une présentation de FRANÇOIS ROSSET (Lausanne) sur le statut du rêve dans les romans du XVIIIe siècle et le type de fiction qu’il amène. D’après l’exemple de d’Alembert, Rousseau et Diderot, EMMANUEL ALLOA (Fribourg) s’interroge sur l’idée de « transparence » et sur ses transformations aux XVIIIe-XIXe siècles. ADRIEN PASCHOUD (Neuchâtel) étudie l’écriture matérialiste du rêve d’après la Lettre de Thrasybule à Leucippe de Nicolas Fréret.

Pour tenter une sorte de synthèse des différentes interventions, on pourrait dire que non seulement l’objet ou le ‘contenu’ du rêve, mais aussi les temps et l’espace du rêve sont énigmatiques. Sa temporalité s’étend au-delà du moment onirique proprement dit, puisque les rêves dont un sujet se souvient préoccupent son réveil et, au-delà, des moments de veille, parfois longtemps. Au réveil, le rêve est souvenir et devenir. L’histoire de ces temps et espaces extensibles du rêve se manifeste particulièrement dans les rapports de la lecture et du rêve.

Une typologie des rapports du rêve à la lecture émerge des différentes interventions :

  1. Les songes très divers inspirés de livres religieux ou magiques, dont la lecture peut susciter un état de transport de l’âme, tandis qu’inversement, le recours au livre – notamment à la Bible – vient conférer une autorité aux rêves perçus comme transcendants ou religieux.
  2. Des lectures, des livres, des lettres, des inscriptions, des pages particulières, des illustrations de livres ou des frontispices qui peuplent des rêves, comme autant de réminiscences de lectures vigiles et de messages codés aptes à susciter l’étonnement, la crainte ou l’enthousiasme. Leur présence dans des rêves peut mettre en branle une sorte de dialogue intérieur.
  3. Le rêve peut de plus poursuivre, voire amplifier une lecture, notamment lorsque le sujet s’endort autour d’un livre de chevet. Lire comme rêver reviennent à passer un seuil, à mettre à distance le monde vigile.
  4. Les livres, notamment les romans, comme les rêves déroulent enfin une fiction. La fiction romanesque, en mettant en forme l’expérience onirique, impose son registre et ses lois narratives en une sorte d’imposture. Mais elle peut aussi être jugée comme ce qui est le plus proche de la texture d’un rêve. Ce parallélisme devient très discuté dans la seconde moitié du XVIIIe siècle lorsque se développent le marché du livre et le goût des romans, notamment adressés aux jeunes filles et femmes.

Ces correspondances entre lectures et rêves nous invitent à interroger les temps et les espaces du rêve, les rapports au monde vigile, les facultés de l’âme mises en jeu par la lecture et par le rêve, les formes de dialogue intérieur ou de dédoublement du moi, la nature changeante des formes de l’illusion et des pratiques de lecture au cours du temps.

Le colloque a simultanément montré la fécondité du thème pour le XVIIIe siècle et ses prolongements aux XIXe et XXe siècles. Il a permis de croiser des perspectives disciplinaires différentes et de considérablement diversifier les sources mobilisées sans recourir à quelque téléologie que ce soit. Une publication ouverte à quelques contributions supplémentaires est envisagée.

Notes:
1 Avertissement: ce compte rendu naît d'une initiative des organisateurs de la manifestation. Son auteur a également participé au colloque comme intervenant.

Aperçu du programme

28.10.2021
9h Accueil des participant.e.s
Modération : Victor Stoichita (Université de Fribourg)
9h15-10h15 : Introduction/Einführung (Claire Gantet, Université de Fribourg, Helmut Zedelmaier, Ludwig-Maximilians-Universität München)
10h15-11h : Bücher lesen: Über Anwesenheit und Abwesenheit / Lire les livres : Présences et absences (Ulrich Johannes Schneider, Universität Leipzig)
11h-11h15 : pause café
11h15-12h : Lire en s’endormant. Quelques métamorphoses de la lecture rêvée entre Cardan et Jérôme Richard (Florence Dumora, Université Paris-Diderot)
12h-12h45 : Aufschreiben und Nachzeichnen. Traumdarstellungen im 19. Jahrhundert zwischen Bild und Text (Magdalena Becker, Ludwig-Maximilians-Universität München)

Noter, déchiffrer, agir
Modération : Danièle Tosato-Rigo (Université de Lausanne)
14h-14h45 : Les rêves dans le journal autobiographique du notaire Jacques Sandoz (1664-1738) (Karine Crousaz, Université de Lausanne)
14h45-15h30 : Entre rêve et raison : le conjoint idéal dans les journaux personnels des demoiselles au XVIIIe siècle (Sylvie Moret Petrini, Université de Lausanne)
15h30-15h45 : pause café
15h45-16h30 : Un rêve ludique : la lecture et la résolution d’énigmes en vers (Timothée Léchot, Université de Neuchâtel)
16h30-17h15 : Rêver et spéculer : l'art de gagner à la loterie au XVIIIe siècle (François-Joseph Favey, Université de Fribourg))

29.10.2021
Lectures et rêve dans les contextes anglophones et germanophones
Modération : Arnd Beise (Université de Fribourg)
9h-9h45 : Traumlektüren in Johann Gottlob Krügers Träumen (1754) (Carsten Zelle, Ruhr-Universität Bochum)
9h45-10h30 : Träume lesen/Träume deuten: Johann Jakob Bodmers Julius Caesar (Yvonne Wübben, Ruhr-Universität Bochum)
10h30-11h15 : „Die besten Weiber lesen träumend“. Jean Pauls Utopie von der Unmittelbarkeit des Verstehens (Sabine Haupt, Université de Fribourg)
11h15-11h30 : pause café
11h30-12h15 : „Past the wit of man“: Spielarten des Traums in der englischen Literatur des langen 18. Jahrhunderts (Dimiter Daphinoff, Université de Fribourg)

Constellations francophones
Modération : Claude Bourqui (Université de Fribourg)
13h15-14h : Rêver dans les romans au XVIIIe siècle (François Rosset, Université de Lausanne)
14h-14h45 : Songes d’une nuit transparente. D’Alembert, Rousseau, Diderot (Emmanuel Alloa, Université de Fribourg)
14h45-15h30 : Rêve et écriture matérialiste : l'exemple de Fréret (Adrien Paschoud, Université de Bâle)
15h30-15h45 : pause-café
15h45-16h30 : Discussion finale

Veranstaltung: 
Leseträume. Lesen als Traum im 18. Jahrhundert / Rêves de lectures. Lire et rêver au XVIIIe siècle
Organisiert von: 
Prof. Claire Gantet (Université de Fribourg); Prof. Helmut Zedelmaier (Ludwig-Maximilians-Universität München)
Veranstaltungsdatum: 
28.10.2021 bis 29.12.2021
Ort: 
Université de Fribourg
Sprache: 
f
Art des Berichts: 
Conference
Dateianhänge: