Les années 1960 se caractérisent par des discours de plus en plus ouverts au sujet de la sexualité. Relancée des affiches publicitaires, les couvertures des magazines ou les écrans des cinémas, la sexualité s’insinue dans l’espace public. Pour le Tessin ces années coïncident en partie avec une phase de transformations majeures qui changent radicalement le profil du canton et en marquent l’entrée dans la modernité. Dans ce travail nous analysons l’imbrication de ces deux dynamiques à travers l’étude d’une composante spécifique de cette transformation : les débats et politiques de sexualité développés dans l’espace cantonal entre les années 1960 et 1970 en relation aux thèmes de l’éducation sexuelle et du planning familial. La sociologie des problèmes publics, qui étudie l’émergence et la construction des objets de débat et politiques publiques, nous a permis d’organiser un premier cadre théorique à partir duquel structurer l’analyse.
Au-delà des caractères spécifiques, tout objet qui parvient à être reconnu comme problème public traverse un parcours de construction en trois étapes : une phase de mobilisation où l’objet est cadré, défini, justifié par les entrepreneurs de cause qui en souhaitent la reconnaissance comme problème public, une phase de médiatisation où l’objet est repris, transformé, relancé par les principaux médias, et une phase de politisation, où l’objet parvient à entrer, sous une certaine forme, dans les agendas politiques. La forme finale de l’objet est conditionnée par les interactions des acteurs de ces trois phases. Dans ce travail nous vérifions si les discours produits en relation aux thèmes mentionnés suivent une disposition cohérente avec le parcours schématique tracé par la sociologie des problèmes publics. Dans ce cas, les discours produits participeraient de la transformation de la sexualité, et de certaines thématiques en particulier, non seulement en objet de débat public mais aussi en problème public.
La structure du travail a été adaptée à cette première grille d’analyse et de conséquence divisée en trois parties (mobilisation, médiatisation, politisation). Nous avons en particulier cherché à éclaircir la manière dont ces thématiques deviennent objet de discussion publique et le contenu des débats qu’elles suscitent, les revendications qu’elles informent, les acteurs qui les relayent et les stratégies de promotion choisies. Le parcours de chaque objet (éducation sexuelle scolaire, centres de consultation et planning familial) a été reconstruit de manière séparée, pour valoriser les caractères propres aux deux trajectoires. Les conclusions nous ont permis de mettre en évidence les constantes qui rapprochent ces deux parcours. Le travail s’appuie sur un ensemble composite de sources qui combine articles de presse et revues spécialisées, archives publiques et privées, entretiens et documentation radiophonique et télévisée.
Portés par des acteurs proches de nouveaux mouvements sociaux et souvent liés à la saison de la contestation, les objets s’insèrent dans un projet de plus ample rayon qui vise à moderniser le canton à travers une action ciblée par secteurs (école, médecine, assistance). La diffusion d’une information scientifique et précise en matière de sexualité sous-tend plusieurs objectifs: responsabiliser les comportements sexuels, renforcer l’entente du couple, émanciper les femmes, former un esprit critique et tolérant dans les jeunes générations. Plusieurs de principaux médias contribuent à renforcer l’action des entrepreneurs de cause, dont partagent le projet de
modernisation du canton. Leurs pièces relancent, cadrent et complexifient les objets, les rapprochant de l’attention des lecteurs. La presse conservatrice est au contraire un terrain d’affrontement privilégié pour les milieux réactionnaires qui entendent contrecarrer l’action des entrepreneurs de cause. Ceux-ci identifient dans le scandale une tactique de combat appropriée pour contenir le déferlement extrémiste qu’ils voient se profiler. Bien qu’avec réticence, les objets s’intègrent progressivement dans les agendas de deux départements visés (éducation, œuvres sociales).