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Panel: Sécurité sociale, normes d’égalité et redistribution des richesses

Autor / Autorin des Berichts: 
Oleksandra Kunovska Mondoux
oleksandra.kunovskamondoux@unifr.ch
Université de Fribourg

Citation: Kunovska Mondoux, Oleksandra: Panel: Sécurité sociale, normes d’égalité et redistribution des richesses, infoclio.ch-Tagungsberichte, 27.06.2019. Online: <https://www.doi.org/10.13098/infoclio.ch-tb-0182>, Stand: 08.11.2024.

Responsabilité: Carola Togni
Intervenant-e-s: Carola Togni, Dominique Dirlewanger
Commentaire: Brigitte Studer

Version PDF du compte rendu


À la veille de la grève des femmes en Suisse du 14 juin 2019, la thématique du genre remue l’actualité. Ce panel visait à analyser la notion d’égalité du point de vue de la politique de la sécurité sociale et à comprendre comment celle-ci contribue, en plus de son rôle de redistribution des richesses, également à construire des normes sexuées. Alors que les politologues, les sociologues, les économistes abordent la question du genre et des politiques sociales surtout par des méthodes comparées, CAROLA TOGNI propose d’approfondir également les perspectives d’égalité et de sécurité sociale par le biais de l’analyse historique, surtout après la Deuxième Guerre mondiale, ainsi que dans la période de transition vers des modèles contemporains.

Dans sa communication, Carola Togni présente une recherche en cours de réalisation avec Sandra Constantin, basée sur les archives de l’Organisation Internationale du Travail (OIT), une agence des Nations Unies pour le monde du travail se focalisant sur l’élaboration de normes internationales autour de la sécurité sociale. Les débats sur le rôle des femmes dans la sécurité sociale émergent après la Deuxième Guerre mondiale. En 1952, la Convention 102 sur la sécurité sociale (norme minimum) discute le rôle des sexes dans la famille, portant un changement de la logique protectrice à une rhétorique égalitariste. Poussés par la deuxième vague féministe, les débats se poursuivent en 1972 avec la conférence de l’Association Internationale de la Sécurité Sociale sur l’égalité de traitement entre les femmes et les hommes dans la sécurité sociale. À la demande des syndicats, ces questions sont ensuite mises à l’ordre du jour de la Conférence internationale du Travail (CIT). Ainsi en 1975, année internationale des femmes à l’ONU, la CIT adopte la Déclaration sur l’égalité de chances et de traitements pour les travailleuses, interdisant toute forme de discrimination à l’encontre des femmes en matière de sécurité sociale.

Malgré ces avancées, les experts internationaux essayent à chaque fois de remettre en question la terminologie et de refermer l’analyse de la situation. Il est surprenant que dans cette mise en agenda laborieuse, les organisations féminines et féministes sont plutôt absentes des discussions autour de la sécurité sociale au sein du BIT. Par conséquent, en 1988, Anne-Marie Brocas, chargé du rapport principal sur l’égalité entre femmes et hommes dans la sécurité sociale, reconnait son manque de connaissance sur le sujet. Une égalité de traitement dans la sécurité sociale est enfin définie par les mêmes règles de protection contre les risques sociaux s’appliquant aux hommes et aux femmes exerçant une activité professionnelle égale. Cependant, selon Carola Togni, une norme égalitaire qui participe à la transformation du modèle du male breadwinner à celui du « travailleur et demi » entraîne plusieurs résistances à l’introduction des réformes sur la norme de l’emploi masculin ainsi qu’à la prise en considération du travail domestique et familial.

À son tour, DOMINIQUE DIRLEWANGER présente une partie de la recherche issue de son doctorat, en invitant à réfléchir sur l’histoire de l’AVS, sur la question de la caisse pension dans la sécurité sociale, et sur la perception et la place des femmes dans la vieillesse. Au moment où les démographes et les médecins s’intéressent dans leurs recherches aux personnes âgées dans leur ensemble, la perspective de genre, considérant la vieillesse comme expérience majoritairement féminine, deviennent une question d’émancipation.

En 1896, le Premier Congrès suisse pour des intérêts féminins à Genève met en péril l’ordre social établi, au sein duquel la place des femmes est définie par le mariage. L’introduction d’une première assurance vieillesse obligatoire en 1916 par le canton de Glaris ne met toutefois en œuvre qu’une répartition non équitable de la rente entre hommes et femmes. Durant l’entre-deux-guerres, l’obligation d’assurer les femmes mariées ainsi que les femmes célibataires ou veuves persiste à être marginalisée. La situation change peu lors de la création de l’AVS en 1948. Selon le graphique présenté par Dominique Dirlewanger sur la répartition par sexe de la population âgée en Suisse entre 1941 et 1980, la prépondérance démographique des femmes est évidente, mais le vieillissement féminin reste une question périphérique des recherches. Les discours négatifs prédominent : la volonté de protéger la vieillesse précoce des femmes, causée par le déclin de ses forces physiques, en baissant l’âge de la retraite, met en évidence l’égalité de traitement tout en soulignant l’inégalité biologique. Dans les années 1960, on constate qu’il est possible de vieillir en bonne santé. La vieillesse des femmes se recompose alors sous un jour positif permettant une réalisation personnelle après le départ des enfants pour des mères épanouies dans leur ménage et émancipées des charges sociales.

Dans son commentaire, BRIGITTE STUDER souligne la richesse des contributions, qui montrent l’organisation des systèmes de sécurité sociale autour de normes masculines, dont le mariage reste une conception centrale de l’état social. Cela conduit aux injustices observées avec l’âge, notamment dans la gender pension gap. En analysant la communication de Togni, Studer mentionne avoir été frappée par le frein à l’action des acteurs imposé par les intérêts institutionnels. Ensuite, la question se pose de savoir si le renoncement à faire appel aux féministes de la deuxième vague dans l’OIT est dû au fait que le mouvement féministe soit devenu plus critique envers les institutions par rapport à la période de l’entre-deux-guerres, ou alors au fait que l’OIT ait été moins ouverte aux savoirs féminins après la Deuxième guerre mondiale qu’elle ne l’était à l’époque de sa fondation ? En outre, est-ce que l’engagement relativement faible de l’OIT, comparé à d’autres organisations internationales (OI), dans la valorisation du rôle des femmes à travers les normes de l’égalité, signifie-t-il que les gouvernants des autres OI sont plus progressistes par rapport aux représentants de l’OIT ? Enfin, la notion de « travailleur et demi » ne lui paraît pas tout à fait cohérente si l’on maintient la norme du travail à plein temps.

Brigitte Studer propose de manière égalitaire quatre points de réflexions sur la communication de Dominique Dirlewanger. Premièrement, l’évolution de la trajectoire professionnelle des femmes dans le débat public est très bien analysée. Deuxièmement, le choix des experts discutés dans la communication mérite des précisions. Troisièmement, la comparaison entre la Suisse et la France est profitable, mais il y a un certain flou quant aux différences des espaces concernés. La dernière remarque concerne le statut complexe des femmes divorcées qui se retrouvent souvent comme les grandes perdantes de l’AVS par rapport aux autres catégories de femmes. À travers ces deux communications, Brigitte Studer soulève la question du paradoxe de l’autonomie des femmes dans la solution de la politique égalitaire ; l’entrée de la femme sur le marché de travail à plein temps avec des droits sociaux égaux aux hommes se heurte à protection inégale de la qualité de vie au moment de la retraite du marché du travail.

Lors de la discussion, Carola Togni précise le fait que dès que les débats sont posés par le mouvement féministe, une crainte du discours égalitariste sur la réforme de la sécurité sociale apparaît. À vrai dire, les questions de la centralité de l’emploi sont plutôt techniques et non dépendantes forcément du contexte politique des Etats. Dès que les femmes entrent dans le marché du travail, la sécurité sociale (y compris le workfare) commence à s’adapter au principe d’égalité en gardant l’esprit de protection des femmes. Dominique Dirlewanger, quant à lui, mentionne que si l’on prend la retraite comme une prestation méritée, les femmes apparaissent comme des victimes de la précarité, à part les représentations féministes d’une vieillesse heureuse. Au départ, il cherchait à comparer les effets de l’émancipation de la vieillesse dans les espaces culturels francophones plus larges (Canada, Belgique) mais par la complexité et le manque d’archives, il s’est concentré sur la France et la Suisse, où dans les années 1950, un grand nombre d’experts de la sécurité sociale sont mandatés pour produire des rapports. Sans qu’il reste le temps pour les questions du public, les deux interventions ont donné un riche aperçu de la politique sociale et du genre au sein de l’OIT, qui célèbre ces jours son centième anniversaire ainsi que des réflexions approfondies sur les contextes nationaux suisses et français.



Aperçu du panel:

Carola Togni: Le principe d’égalité dans les débats sur la sécurité sociale au sein du Bureau international du travail (1960-2000)

Dominique Dirlewanger: La vieillesse des femmes, entre relégation et émancipation



Ce compte rendu de panel fait partie de la documentation infoclio.ch des 5èmes Journées Suisses d'Histoire.

Event: 
5èmes Journées Suisses d'Histoire
Organised by: 
Société suisse d'histoire et Université de Zürich
Event Date: 
07.06.2019
Place: 
Zürich
Language: 
f
Report type: 
Conference
Attachment: