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Panel: Contestations politiques et culturelles dans la Suisse de la deuxième moitié du XXe siècle

Autor / Autorin des Berichts: 
Nuno Pereira, Université de Lausanne
nuno.pereira@unil.ch


Citation: Pereira Nuno, « Panel: Contestations politiques et culturelles dans la Suisse de la deuxième moitié du XXe siècle », infoclio.ch comptes rendus, 2013. En ligne: infoclio.ch, <http://dx.doi.org/10.13098/infoclio.ch-tb-0050>, consulté le


Organisateurs: Hadrien Buclin / Stéphanie Prezioso
Participants: Thomas Färber / Pauline Milani / Pierre Raboud / Kristina Schulz / Carole Villiger
Modération: Jean-François Fayet

Dans l’introduction du panel[1], HADRIEN BUCLIN dresse le tableau de la Suisse d’après-guerre, caractérisée par un conservatisme politique et social prononcé et par la faiblesse des oppositions politiques de gauche. C’est dans ce contexte qu’émergent des mouvements sociaux et culturels qui contestent le « consensus helvétique ». Leur essor démontre que le rapport entre culture et engagement politique est fécond.

Dans la première communication, KRISTINA SCHULZ expose ses réflexions sur l’impact culturel du nouveau mouvement féministe de l’après-68. Elle analyse le livre Häutungen, publié en 1975 par Verena Stefan, jeune bernoise résidant à Berlin.[2] Succès de librairie, l’ouvrage rompt avec les conventions littéraires, tant sur la forme que sur le contenu, et exprime sans détour le vécu de la protagoniste principale, notamment ses expériences sexuelles. Disposant d’un grand potentiel d’identification, le livre témoigne du lien entre identité féminine et littérature féminine. La correspondance que Verena Stefan a entretenu avec l’écrivain Erich Fried éclaire le contexte social et littéraire de l’époque. Dans la mesure où la langue est un lieu où se manifestent des rapports des force, Häutungen participe de la constitution d’un sujet féministe. Le « je » y est collectif. Comme dans nombre de mouvements de 68, libération individuelle va de pair avec émancipation collective.

CAROLE VILLIGER présente ensuite une étude comparative de trois mouvances ayant eu recours au registre d’action radical : les autonomistes et les anti-séparatistes jurassiens, la gauche révolutionnaire et l’extrême-droite. Au sein de ces tendances, les groupes ayant fait usage de violence appartiennent à des fractions largement minoritaires. Leurs actes ont pris la forme d’attentats, qui ont, le plus souvent, causé des dégâts matériels, même s’ils ont parfois occasionné des blessures de personnes, voire des décès. Les premières actions radicales ont été lancées à la fin des années 1950 par les autonomistes jurassiens. La mouvance la plus radicale de la gauche extra-parlementaire (groupes anarchistes, de soutien aux prisonniers politiques, anti-nucléaires) ont quant à eux été actifs entre 1968 et 1985. Enfin, rattaché à l’extrême-droite et actif entre le milieu des années 1980 et le début des années 2000, le troisième ensemble paraît plus difficile à cerner. En effet, il est parfois délicat de distinguer les actions relevant de la droite radicale d’actes isolés de racisme. 60% des actions violentes de cette mouvance ont été perpétrées par des skinheads et ont essentiellement pris pour cible des ressortissants étrangers.

PAULINE MILANI s’est de son côté demandée dans quelle mesure la contestation des intellectuels suisses pouvait emprunter des voies institutionnelles. Elle a commencé par poser les jalons d’une histoire des intellectuels en Suisse. De l’entre-deux-guerres aux années 1950, ceux-ci étaient en général conservateurs, relativement proches du pouvoir. La composition des membres de la fondation Pro Helvetia atteste de cette tendance. Jusqu’au début des années 1960, les intellectuels sont porteurs des valeurs de la défense nationale spirituelle. C’est alors qu’émergent, surtout en Suisse alémanique, des intellectuels « non conformistes ». En Suisse romande, le journaliste Franck Jotterand cristallise à sa manière ce courant. Rédacteur en chef, entre 1952 et 1972, de la Gazette littéraire, un supplément de la Gazette de Lausanne, il fait figure d’intellectuel contestataire au sein d’un journal bourgeois. Il y accueille des plumes critiques et y publie plusieurs enquêtes sur la politique culturelle. Participant par ailleurs aux entretiens d’Aubonne de 1967, Jotterand a apporté une contribution majeure au renouvellement de la politique culturelle en Suisse, qui s’est notamment traduit par la publication du rapport Clottu en 1975.

La dernière contribution, présentée par PIERRE RABOUD, examine la scène punk et les mouvements de jeunes des années 1980, en particulier à Zurich. L’insertion de nombreux punks dans des mouvements d’opposition plus larges constitue la spécificité du mouvement punk en Suisse. Cette particularité explique en partie le dynamisme des Achtziger Jugendunruhen, à un moment où les mobilisations sociales connaissent une période de reflux en Europe. Ces mouvements se sont vigoureusement opposés au conservatisme culturel ambiant, dans lequel ils percevaient une survivance de la défense nationale spirituelle. Ils luttent notamment pour la création d’espaces autonomes susceptibles d’accueillir une culture alternative. Cette contestation s’inspire des modes de diffusion de la mouvance punk, tels que les fanzines. Contrairement à l’analyse des autorités, qui réduisent les Achtziger Jugendunruhen à leur dimension culturelle, ces mouvements sont porteurs d’un discours éminemment politique, puisque leurs revendications concernent la lutte antinucléaire, le soutien aux homosexuels, l’urbanisme ou encore la solidarité internationale.

Commentant les quatre exposés, JEAN-FRANÇOIS FAYET souligne que l’articulation entre les niveaux local et global est centrale pour appréhender la contestation. Le passage du local au global caractérise d’ailleurs le phénomène révolutionnaire. Il importe de définir quelques concepts utilisés dans ce panel et de les situer dans l’histoire des idées. Très en vogue aujourd’hui, le terme « transnational » fait davantage référence à un internationalisme libéral qu’à la contestation. De son côté, le vocable « populisme » appartient originellement à la culture politique de la gauche. Enfin, issu du registre juridique, le terme « contestation » n’a revêtu son sens de remise en cause de l’ordre social qu’en 1968. Difficile à saisir en français, ce concept désigne l’expression formelle d’un désaccord et occupe une position intermédiaire entre l’indignation et la révolution. Cette notion évoque également le passage du niveau individuel au collectif. Les contributions du panel montrent que la contestation s’exprime à la fois dans, par et contre la culture. Elle relève aussi bien d’une Kulturkrieg, forme qu’a pris la guerre froide en Europe, que d’une provocation contre des normes sociales. Dans un pays tel que la Suisse, fortement marqué par la culture du compromis, une dialectique entre opposition et intégration est parfois à l’œuvre. Par le biais de divers dispositifs, le système parvient alors à intégrer ceux qui auparavant le combattaient.

Au cours du débat, STÉFANIE PREZIOSO relève la diversité des répertoires d’action employés par les mouvements protestataires et l’importance de prendre en compte l’articulation « global-local », particulièrement appropriée pour l’étude de la contestation. La part de rupture et de continuité, par exemple entre les mouvements de jeunes des années 1980 et la contestation de 68, mérite aussi d’être approfondie. Kristina Schulz met pour sa part en évidence l’importance de combiner histoire locale et nationale et d’étudier le rapport entre l’individuel et le collectif, dans lequel le politique exerce une grande influence. L’une des ruptures majeures induites par 1968 a d’ailleurs été l’adéquation entre personnel et politique. La discussion a enfin souligné que la richesse de la thématique, patente dans la multiplicité des approches présentées dans ce panel, est loin d’avoir été épuisée.

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1 Pour des raisons familiales, THOMAS FÄRBER n’a pas pu être présent.
2 Verena Stefan, Häutungen : autobiographische Aufzeichnungen, Gedichte, Träume, Analysen, München, Frauenoffensive, 1975. Le livre a rapidement été traduit en français : Mues, Paris, Des femmes, 1977.

Aperçu du panel

Kristina Schulz: “Wort um Wort, Begriff um Begriff”. Weibliches Schreiben als Praxis der Veränderung. Überlegungen zu den kulturellen Wirkungen der neuen Frauenbewegung

Carole Villiger: Registre d'action radical et mouvements en Suisse durant la deuxième partie du XXème siècle

Pauline Milani: La participation des intellectuels contestataires dans la (re)définition de la politique culturelle suisse (1965-1980)

Pierre Raboud: « Schwiiz brennt » : scènes punks et mouvements jeunes des années 80 en Suisse

Thomas Färber: Protest mit der Schreibmaschine: die intellektuellen Interventionen walter Matthias Diggelmanns zwischen 1960 und 1980

Event: 
3e Journées suisses d'histoire 2013 / 3. Schweizerische Geschichtage 2013
Organised by: 
Departement für Historische Wissenschaften der Universität Freiburg / Schweizerische Gesellschaft für Geschichte (SGG)
Event Date: 
09.02.2013
Place: 
Fribourg
Language: 
f
Report type: 
Conference
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