La journée d’étude qui s’est déroulée le 9 février 2023 dernier à l’Université de Lausanne été organisée dans le contexte du projet « La Fabrique des sports nationaux. Les élites du sport suisse et l’institutionnalisation d’un champ sportif suisse (années 1860-1930) » soutenu par le Fonds national suisse de la recherche pour la période 2019-2023. L’objectif de cette manifestation était de créer un espace d’échanges et de réflexion autour des résultats obtenus par l’équipe du projet (Grégory Quin, Philippe Vonnard et Gil Mayencourt). Le programme alternait des présentations par des membres du projet et par des chercheures et chercheuses externes à celui-ci qui travaillent aussi sur la création des sports nationaux et/ou sur l’implantation en Suisse de pratiques sportives provenant de l’étranger. De plus, il s’agissait aussi pour les membres du projet d’inviter des collègues intéressés par la thématique (il y avait un public d’environ 20 personnes).
Le colloque a commencé avec la conférence introductive de GREGORY QUIN (Lausanne), le directeur du projet. Pendant cette première heure, Quin a présenté l’équipe du projet, les archives et les musées visités durant ces quatre dernières années, la structure du projet et a terminé son intervention en partageant quelques résultats obtenus. L’analyse des cinq sports (gymnastique, tir, jeux nationaux1, football et cyclisme) et des dix associations sportives suisses pris en considération a conduit, entre autres, à la création d'une base de données de plus de 850 individus liés à l'élite sportive suisse2. Les données collectées dans le cadre du projet sont en cours de transfert sur la base de données de l’Observatoire des élites suisses de l’Université de Lausanne (OBELIS).
La première session s’est focalisée sur les changements de gouvernance et les liens avec la politique de trois institutions sportives au cours du XIXe siècle. GIL MAYENCOURT (Lausanne) a été le premier à prendre la parole pour présenter un des chapitres de sa thèse de doctorat. Mayencourt a exposé ses analyses sur la gouvernance de la Société fédérale de gymnastique (SFG) entre 1850 et 1914, avec une approche qui mêle histoire sociale et histoire culturelle. Basé sur l’étude des mandats politiques des membres du comité de la SFG à la fin du XIXe siècle, ses résultats montrent que la gouvernance de la SFG commence à être de moins en moins politisée après 1870, ce qui s’explique, selon Mayencourt, par la spécialisation croissante des dirigeants, mais aussi par le soutien financier que reçoit désormais la SFG de la part de la Confédération. LAURENT TISSOT (Neuchâtel) a ensuite introduit ses recherches en cours sur le Club Alpin Suisse, une institution qui permet d’étudier différentes thématiques : les liens entre patriotisme et territoire ; l’esthétisation de la montagne ; les risques et les dangers des sports de montagne ; l’éthique et l’esprit de corps ; et la place des femmes dans l’alpinisme. Tissot souligne l'importance de l'alpinisme non seulement dans la découverte et la conquête des montagnes, mais aussi et surtout comme activité sociale de l'élite suisse de l'époque. Enfin, Gregory Quin a conclu le panel en se focalisant sur la Société Suisse des Carabiniers, la plus ancienne fédération sportive de Suisse. L'un des résultats les plus intéressants de cette étude consiste à souligner les liens forts qui existent entre les premiers présidents de la fédération et le champ politique. Toutefois, et comme dans le cas de la gymnastique, après les premières années, ce lien tend progressivement à s’atténuer. VERONIQUE CZAKA (Fribourg), modératrice de la session, a souligné dans son commentaire à quel point la création de ces associations sportives est liée à la fois à une professionnalisation des activités et à une volonté collective de réunir la population vers une objectif commun.
La deuxième session a pris en considération les pratiques sportives importées de l’étranger en Suisse vers la fin du XIXe siècle. PHILIPPE VONNARD (Fribourg) a exposé ses recherches sur l’implantation des sports modernes (cyclisme, football et sports hivernaux) dans l’arc lémanique à la fin du XIXe siècle. Vonnard explique que le contexte local était favorable à leur établissement et ce en raison de plusieurs facteurs : le développement avancé du tourisme, l’importance des pensionnats et l’urbanisation de la région. Pour ces raisons, il semble que les associations sportives de l'arc lémanique se soient développées très tôt par rapport à d’autres régions d’Europe et en ce sens on peut formuler l’hypothèse que l’arc lémanique a joué un rôle important dans la diffusion de ces pratiques sur le continent. SEBASTIEN CALA (Lausanne) a donné une présentation relative à sa thèse de doctorat sur le développement des stations et des compétitions de ski (nordique et alpin) en Suisse. Cala a d’abord présenté l’arrivée du ski alpin en Suisse, pratique importée de Scandinavie vers la fin du XIXe siècle. Par la suite, il s’est focalisé sur l’institutionnalisation de ce sport. Ses recherches montrent notamment qu’il y a un lien très fort entre la création des clubs de ski, la confession du canton et son urbanisation : jusqu’en 1904, les ski clubs ne sont fondés que dans les cantons protestants et en plus grand nombre dans les régions urbanisées. Pour terminer la session, MANUELA MAFFONGELLI (Lausanne) a évoqué un projet autour des débuts de la natation à Lugano et du développement du sport féminin au Tessin. Ici, comme dans le cas de l’arc lémanique, le développement des activités sportives modernes est intrinsèquement lié au tourisme. Le nombre d'hôtels à Lugano a connu une croissance exponentielle : en 1882, il y avait 10 hôtels, en 1910, il y en avait 63. Le bord du lac commence à être considéré comme lieu de loisir et en 1890 ont lieu les premières compétitions de natation. La Société de natation de Lugano est créée en 1928 et parmi les membres fondateurs, il faut relever la présence de femmes. CLAUDE HAUSER (Fribourg), modérateur de la session, a insisté sur le lien qui existe entre le développement du tourisme et l’institutionnalisation des sports en Suisse au début du XXe siècle. De fait, il apparait intéressant de prendre ces deux processus ensemble et de se focaliser sur leur interrelation.
La fin de la journée a été marquée par une conférence de RICHARD HOLT (Leicester), modérée par NICOLA SBETTI (Bologna). Historien internationalement reconnu dans le domaine de l’histoire du sport, Holt a profité de ce moment pour revenir sur sa carrière de chercheur, de professeur et d’écrivain. En somme, il s’agissait de replacer sa trajectoire dans celle de la légitimé progressive (et non sans difficulté) qu’a pris le domaine du sport dans le champ des études historiques. Durant la discussion, Richard Holt a aussi abordé des pistes de recherche pour le futur. Selon lui, il serait par exemple très intéressant d’étudier davantage les biographies des personnalités sportives pour ensuite en faire émerger une histoire plus ample (de la « micro »- à la « macro »-histoire).
La journée a été conclue par deux brèves interventions. Tout d’abord, Gregory Quin a introduit la collection Sport et sciences sociales aux Éditions Alphil. Celle-ci accueille depuis 2019 les travaux d’histoire, de sociologie et d’anthropologie qui traitent du phénomène sportif. Ensuite, CHRISTOPHE JACCOUD (Neuchâtel) a présenté la nouvelle revue Les Sports modernes créée par l’Association pour la valorisation des archives et de l’histoire des sports (AvaHs). Le premier numéro sortira au premier trimestre 2023 et porte sur la thématique de la montagne.
Il faut encore noter que le colloque a été suivi par une journée de la relève (10 février), organisée avec le soutien de l’Association suisse d’histoire des sports (ASHS). Le but était de permettre à des doctorants et des doctorantes issues de différentes universités suisses (Berne, Fribourg, Lausanne et Lucerne) de présenter leur projet de thèse. Cette journée, dont la richesse a été relevée par les intervenantes, les intervenants et le public, montre à quel point l’étude des sports dans une perspective historique connaît actuellement une dynamique intéressante en Suisse.
Conférence introductive
Grégory, Quin : Les élites fabriquent des sports nationaux ... ou sont-ce les sports nationaux qui font des élites ? Regard sur les processus d’institutionnalisation du sport en Suisse entre 1860 et 1939
Modération : André, Mach
Session 1. Institutions sportives et/ou politiques ?
Gil, Mayencourt : Quand le politicien fait place à l’expert. Dépolitisation, stabilisation et spécialisa-tion de la gouvernance de la Société fédérale de gymnastique (SFG) entre 1850 et 1914
Laurent, Tissot : Le Club alpin suisse et ses montagnes : grimper pour mieux unir ou pour mieux do¬miner ? (1863-1920)
Grégory, Quin : Est-ce que la Société Suisse des Carabiniers est une organisation « sportive » ? Comprendre la « plus ancienne » fédération sportive suisse entre 1824 et 1939
Modération : Véronique, Czàka
Session 2. Transferts, imitations et réappropriations de pratiques étrangères
Philippe, Vonnard : Entre associationnisme, hygiénisme, pédagogie et tourisme. Les acteurs de l’implantation des sports modernes dans l’arc lémanique au tournant du XXe siècle
Sébastien, Cala : Quand la « Course de vitesse à la descente » devient la référence : adaptation et appropriation d’une pratique importée
Manuela, Maffongelli : La découverte de l'eau. Les débuts de la natation à Lugano (1890-1930) Mo-dération : Claude, Hauser
Conférence conclusive
Richard, Holt: Reflections around 40 years of sport history in Europe
Modération : Nicola, Sbetti