Das Schweizer Fachportal für die Geschichtswissenschaften

Histoires européennes de l’éducation : méthodes, approches et perspectives

Autor / Autorin des Berichts: 
Cécile Boss
cecile.boss@unige.ch
Université de Genève

Viviane Rouiller
viviane.rouiller@unige.ch
Université de Genève

Zitierweise: Boss, Cécile; Rouiller, Viviane: Histoires européennes de l’éducation : méthodes, approches et perspectives, infoclio.ch-Tagungsberichte, 08.11.2022. Online: <https://www.doi.org/10.13098/infoclio.ch-tb-0292>, Stand: 22.11.2024.

Télécharger le compte rendu en PDF

Les journées d’études « Histoires européennes de l’éducation : méthodes, approches et perspectives » qui se sont tenues à l’Université de Genève ont pour objectif de contribuer au débat en cours sur l’usage de l’échelle européenne comme niveau d’analyse en histoire de l’éducation. Elles sont nées de l’ambition de combiner deux chantiers de recherche: le projet « Écrire une nouvelle histoire de l’Europe »1 et les travaux sur les processus d’internationalisation de l’éducation menés à l’Université de Genève.2

Le premier panel examine les manières de penser et écrire une histoire européenne de l’éducation à l’heure du « tournant global » de la recherche historique. Dans sa contribution inaugurale, DAMIANO MATASCI (Genève) développe une réflexion méthodologique sur les courants de l’histoire comparative, transnationale, globale et transimpériale3, dans leurs interactions avec l’histoire européenne et l’histoire de l’éducation. En retraçant les débats historiographiques qui ont eu lieu depuis les années 1980, cette discussion permet d’établir un état des lieux de la recherche ainsi que de questionner la notion d’« Europe » en tant que catégorie d’analyse. Ensuite, MARCELO CARUSO (Berlin) se focalise sur les discours autour de l’« éducation européenne » en Inde au 19e siècle, à partir d’une analyse de revues publiées par des missionnaires occidentaux et des pédagogues indiens. Il montre que l’idée d’ « éducation européenne » est un produit de circulations transnationales, ainsi qu’un enjeu de compétition transimpériale avec l’Empire britannique. Elle s’inscrit dans le contexte plus large de l’émergence de la notion d’Europe au 19e siècle, qu’il présente comme une invention et un champ hétérogène faisant l’objet de projections sur l’altérité, et par lequel il est possible d’étudier le phénomène colonial.

Le deuxième panel questionne l’existence d’un modèle éducatif européen. JOHANNES WESTBERG (Groningen) revient sur une recherche comparative entre quatre pays européens sur le développement de la scolarisation de masse. Rappelant en préambule que les perspectives nationales restent encore dominantes dans ce domaine, il propose d’adopter un autre échelon d’analyse : la région. Cette échelle régionale présente, selon lui, le potentiel de réviser les narrations nationales ou locales, et peut se révéler plus opérationnelle que celle de l’ensemble de l’Europe, dont les données montrent les difficultés d’y voir une quelconque unité. Quant à MICHEL CHRISTIAN (Genève), il interroge l’émergence d’un modèle européen dans le développement de l’éducation de la petite enfance au cours de la deuxième moitié du 20e siècle. En citant l’exemple des États-Unis, il rappelle que l’Europe n’est pas le seul endroit où l’éducation de la petite enfance s’est développée. Toutefois, dans le cas américain, celle-ci est confiée au domaine privé et ne constitue pas, à l’inverse du vieux continent, un service public ; ce qui suggère l’existence d’un modèle européen du point de vue d’un type d’État social. Par ailleurs, l’éducation de la petite enfance se développe d’abord en Europe, avant de se diffuser dans d’autres continents, notamment en Afrique, où elle peut être considérée comme un instrument de distinction sociale, car réservée aux colons et aux élites.

Le troisième panel met en exergue des situations dans lesquelles l’idée de modèle éducatif européen est contestée. MARIA DEL MAR DEL POZO (Alcalá) et SJAAK BRASTER (Rotterdam) étudient la représentation de l’Europe (ou son absence) dans des sources iconographiques des 18e et 19e siècles (gravures et imprimés) se rapportant à l’espace scolaire, en Europe, en Asie et aux États-Unis. À travers une analyse des conditions sociales de leur production, ils étudient comment ces représentations revêtent des significations différentes en fonction du contexte national dans lequel elles sont produites. La présentation montre aussi l’instrumentalisation d’un imaginaire européen en matière d’éducation, utilisé à différentes fins : propagande de la modernité en éducation, diffusion des traditions nationales ou encore promotion des politiques éducatives. Puis, IVETA KESTERE (Riga) s’intéresse à la culture soviétique transmise par l’école en Lituanie de 1945 à 1990. À partir d’une étude de sources visuelles, elle étudie comment, dans le contexte de la soviétisation des États baltiques, l’éducation à l’européenne est interprétée et largement contestée. Elle montre les tensions et les fluctuations qui apparaissent au fil des années, notamment à l’époque où la Lituanie revendique son identité propre et utilise l’éducation comme vecteur de construction de son identité nationale, en se basant sur des modèles issus de l’Europe de l’Ouest.

Le quatrième panel porte sur la place de l’Europe dans l’internationalisme éducatif. Sur la base d’une analyse de sources sérielles issues du Bureau international d’éducation (BIE), RITA HOFSTETTER (Genève) montre comment l’Europe a constitué une « voie obligée » pour une organisation intergouvernementale et internationale souhaitant la participation d’un maximum d’États. Dans les années 1930, le BIE se retrouve néanmoins en contradiction avec certaines de ses valeurs, comme la promotion de la paix, dans la mesure où il compte parmi ses membres des régimes autoritaires européens. Revenant par ailleurs sur la faible collaboration du BIE avec le Conseil de l’Europe, perçu comme « trop européen », elle souligne le souci du BIE à se prétendre universel et non pas défenseur d’une cause européenne. STEPHANE LEMBRÉ (Lille) traite ensuite des activités du Bureau international du Travail (BIT) dans le domaine de l’apprentissage en entreprise durant la Guerre froide. Il souligne l’émergence d’une vision européenne après 1945, selon laquelle l’apprentissage ne serait plus le meilleur moyen de former les travailleurs dans les pays industrialisés. Selon lui, les politiques du BIT offrent une entrée intéressante pour étudier les rivalités entre les deux blocs, qui avancent chacun des arguments en faveur de leur modèle.

Le cinquième panel regroupe des contributions sur les mobilités, circulations et transferts au sein et par-delà l’Europe. DORENA CAROLI (Bologne) évoque la réception ambivalente en Russie des idées éducatives issues d’Europe, en particulier chez les partisans de l’éducation tolstoïenne : pour ce mouvement pédagogique, l’Europe se rattache au capitalisme, mais est aussi un symbole positif de progrès humain. ANGELO VAN GORP (Koblenz-Landau) présente ses recherches sur la fortune de la pensée du pédagogue Ovide Decroly après la Deuxième Guerre mondiale. Ce dernier cherche les moyens de dépasser certaines difficultés liées à la compréhension des différentes langues et à l’accès aux sources qui entravent la recherche transnationale en histoire de l’éducation. La notion d’Educational Ecologies, notamment, lui permet d’interroger les limites évoquées et d’engager une réflexion sur les relations entre théorie et pratique. Enfin, LEONORA DUGONJIC-RODWIN (Paris) analyse les trajectoires d’étudiants du Moyen-Orient qui séjournent en Yougoslavie entre 1951 et 1965. Pour ces acteurs - issus pour la plupart de la petite bourgeoisie et des classes supérieures - la poursuite d'études supérieures en Yougoslavie constitue un moyen d’accéder aux systèmes de formation d’Europe de l’Ouest et à des opportunités professionnelles.

Le dernier panel a pour thème « Enseigner et apprendre l’Europe ». SÉBASTIEN LEDOUX (Paris) traite de l’histoire de l’éducation à l’Europe à l’adresse de la jeunesse. Revenant sur les différentes phases de ce processus depuis la fin de la Première Guerre mondiale, il souligne une évolution qui a consisté à attribuer dans un premier temps à ce conflit une forte valeur éducative liée au pacifisme, puis à valoriser un héritage culturel commun pour arriver, après la chute du mur de Berlin, à un « tournant mémoriel ». A la question de savoir si les enjeux de mémoire sont une spécificité européenne, l’intervenant remarque que davantage de lois de ce type ont été votées en Europe que dans le reste du monde. DANIELA PROKSCHOVA (Staré Město), pour sa part, s’interroge sur l’espace dédié à l’Union européenne (UE) dans l’éducation civique en Allemagne et en République tchèque. En pointant les différences entre ces deux territoires, elle évoque l’expérience de workshops organisés en République tchèque visant à enseigner à la jeunesse des connaissances sur l’UE. À travers des observations participantes et l’analyse des manuels, elle met en exergue certaines difficultés de cet exercice, parmi lesquelles l’évolution institutionnelle européenne qui rend les connaissances sur l’UE rapidement caduques, ou encore la réticence des enseignantes et enseignants à exprimer leurs opinions.

Prises dans leur ensemble, les communications offrent des perspectives originales sur la manière de penser et d'écrire l'histoire de l'éducation dans une perspective européenne tout en soulignant le caractère « construit » de la notion même d’Europe. La constante tension entre l’échelle européenne, qui constitue parfois une impasse, et l’échelle transnationale, plus ouverte sur le reste du monde, a ainsi été largement soulignée. Les discussions avec l’auditoire portent finalement sur la nécessité de multiplier les échelles d’observation et de recourir de manière complémentaire à des approches comparatives, transimpériales, transnationales, transrégionales et globales, appuyées par des recherches archivistiques multisituées.


Notes

1 Mené par Jérôme Krop de l’Université de Nantes et Stéphane Lembré de l’Université de Lille. Voir le site web www.ehne.fr

2 Par Damiano Matasci et Rita Hofstetter. Voir le site web https://www.unige.ch/fapse/erhise/fr/accueil

3 Le terme histoire transimpériale est utilisé dans les travaux de Damiano Matasci. Voir Matasci, D., & Bandeira Jerónimo, M. (2022). Une Histoire transimpériale De l’Afrique: concepts, approches et perspectives. Revue d’histoire Contemporaine De l’Afrique, 3, 1-17.


Aperçu du programme

Damiano Matasci (Université de Genève): Beyond Comparison: European Histories of Education Before and After the « Transnational Turn », 1980s-2010s

Marcelo Caruso (Humboldt University): The Europe of Others. Non-Europeans and the Invention of “European Education” in the 19th Century

Johannes Westberg (University of Groningen): A Europe of Regions? National and Regional Differences in the Rise of Mass Schooling

Michel Christian (Université de Genève): L'éducation de la petite enfance entre variations et convergences : vers un modèle européen ? (deuxième moitié du XXe siècle)

Maria Del Mar Del Pozo (University of Alcalá): Sjaak Braster (Erasmus University of Rotterdam), Picturing Europe in National Classrooms: Evidence from 19th Century Education Engravings

Iveta Kestere (University of Latvia): Avoiding Europe? Soviet school culture in Latvia after World War II

Rita Hofstetter (Université de Genève): L’Europe, voie royale ou détour pour construire l’« internationalisme éducatif » ? Le Bureau international d’éducation (Genève, 1925-1968)

Stéphane Lembré (Université de Lille): Le Bureau international du Travail et l’apprentissage en entreprise : comparaisons et rivalités européennes au temps de la guerre froide

Dorena Caroli (University of Bologna): Le mouvement éducatif tolstoien – pour une éducation universelle à la non-violence à travers l'Europe

Angelo Van Gorp (University of Koblenz-Landau): Educational Ecology and the Legacy of New Education in Post-War Europe

Leonora Dugonjic (Uppsala University): Privilège et précarité des étudiants en Europe : des trajectoires du Sud Global vers la Yougoslavie

Sébastien Ledoux (Université Paris 1-Panthéon Sorbonne): La construction d'une mémoire européenne de la jeunesse depuis 1945. Quels instruments pour quelles narrations ?

Daniela Prokschova (The Czech Academy of Sciences): Changes and Challenges in Teaching about Europe in School-Based Civic Education in the Czech and German Context after 1989

Veranstaltung: 
Histoires européennes de l’éducation : méthodes, approches et perspectives
Organisiert von: 
Damiano Matasci & Rita Hofstetter (Université de Genève), Jérôme Krop (Université de Nantes), Stéphane Lembré (Université de Lille)
Veranstaltungsdatum: 
15.09.2022 bis 16.09.2022
Ort: 
Genève
Sprache: 
f
e
Art des Berichts: 
Conference