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Panel: Aux frontières de la nature humaine : animaux, monstres et hybrides

Autor / Autorin des Berichts: 
Mélinda Fleury
melinda.fleury@outlook.com
Université de Genève

Citation: Fleury Mélinda: « Panel: Aux frontières de la nature humaine : animaux, monstres et hybrides », infoclio.ch comptes rendus, 15.07.2022. En ligne: <https://www.doi.org/10.13098/infoclio.ch-tb-0255>, consulté le 07.11.2024.

Responsabilité : Paul-Alexis Mellet
Intervenantes et intervenants : Thierry Hoquet, Fabrice Brandli, Clarissa Yang
Commentaire : Marco Cicchini

Version PDF du compte rendu

Comment définir un être humain et qu’est-ce qui est humain chez l’Homme ? Le naturalisme de l’époque moderne tente d’y apporter des réponses en cataloguant et en définissant ce qu’est l’Homme. De ces classifications naissent des frontières entre des identités : le « nous » et le « eux », limites sont sans cesse bousculées par des hybrides, des monstres, des phénomènes merveilleux ou même des comportements transgressifs. Ce panel se propose d’étudier, au travers du regard d’un philosophe, d’un historien et d’une historienne, l’épistémologie de ces savoirs naturalistes autant que leurs dispositifs, les représentations de ces frontières et l’homme face à l’altérité dans ce que PAUL-ALEXIS MELLET (Genève) appelle un « voyage étrange ».

L’intervention de THIERRY HOQUET (Nanterre) porte principalement sur une réalité biologique, la reproduction. Or la biologie est ici à comprendre en tant que forme d’anthropologie : parler de la nature revient à parler des hommes, qui restent au centre des réflexions. Hoquet crée ainsi un parallèle entre réflexions, d’une part, sur la classification des espèces et variétés d’animaux et de plantes et, d’autre part, sur la classification des races chez les hommes. Avec comme interrogation de fond l’unité du genre humain, Hoquet fait l’étude d’un cas précis : une lettre que le naturaliste genevois Charles Bonnet adresse, en 1767, à son homologue italien Lazzaro Spallanzani. Il y relate l’expérience d’un croisement d’œufs de grenouille et de sperme de poisson. Ces réflexions sur les croisements et les monstres les mènent à se poser la question des applications au genre humain, à l’hérédité et à la compréhension de la reproduction. Dans un second temps, Hoquet pose la question de la reproduction en introduisant le concept de téléologie reproductive du sexe et en distinguant les copulations productives, fécondes, de celles improductives, stériles, les premières demandant un nombre important de conditions étudiées par les biologistes (plaisir, emboîtement des organes sexuels, etc.). En multipliant les exemples (Diderot, Buffon, Réaumur ou encore Linné), il expose les raisonnements de ces penseurs sur la stérilité et sur la définition de l’espèce humaine, perçue notamment par Buffon comme unifiée, car interféconde, bien que sa définition de l’Homme soit plus complexe et toujours teintée de métaphysique, notamment pour la distinction avec les singes. L’Homme se définit alors à la fois par son identité anatomique et par sa condition immatérielle (son âme). La présentation se conclut sur le questionnement de trois indistinctions : naturel et artificiel (ce que fait la nature et ce que nous faisons) ; variétés et espèces ; histoire et fiction (ce qu’on voit et ce qu’on imagine).

Dans sa contribution, FABRICE BRANDLI (Genève) mentionne premièrement le débat sociétal occidental qui agite les esprits depuis vingt à trente ans autour des animaux, du véganisme, de l’antispécisme et de l’interaction avec les animaux, jugée de plus en plus rare. Il interroge des catégories explicatives qui ont perdu de leur force. Comment résoudre l’altérité en admettant que les animaux en sont les formes les plus fortes ? L’historien propose de réaliser une histoire de l’exploitation des animaux considérés en tant que subalternes, ce qui doit interroger les dynamiques de pouvoir exercés sur ces êtres pris dans les relations humaines (économiques, politiques, sentimentales, etc.). Pour cela, il étudie les utopies comme génératrices d’images et d’idées autour d’une société meilleure, les utopies traduisant le rapport entre nature et culture, entre humain et non humain, entre morale et politique. Dès le XVIe siècle, la critique de l’alimentation carnée est présente dans les utopies afin d’étendre la perfection à toute la création et pas uniquement à la société humaine. La viande maintiendrait l’homme dans la violence et donc dans le mal. Le XVIIIe siècle est rempli d’utopies végétariennes qui, par exemple, interdisent la chasse et condamnent les boucheries pour mener à une disqualification morale du carnisme au nom d’une vertu végétarienne. La crainte est à la perte du sentiment d’humanité, à une dégradation morale. On assiste à l’exposition d’une diététique morale et à la promotion d’une sobriété alimentaire sur les bases d’une éthique de la sensibilité et d’un carnisme contre nature. Dans la seconde partie de l’intervention, l’historien s’intéresse à l’hybridité en utopie et dans les écrits des Lumières. Il commente notamment le modèle épistémologique de la chaîne graduée des êtres où, de la plante à l’animal et de l’animal à l’homme, les espèces se touchent dans un modèle ininterrompu menant à l’être humain. L’anthropologie posera ainsi la frontière entre monstres issus des essais de la nature et la création aboutie dans la perfection de l’Homme. Cela représente un mode de compréhension de la nature dans lequel les représentations des animaux interrogent et questionnent les frontières entre hommes et animaux.

Dans son intervention, CLARISSA YANG (Genève) relate les injures à connotation animale et y voit un marqueur d’altérité et de distance. Dans le cas genevois qu’elle étudie, elle observe la mobilisation des animaux dans la violence verbale et leur impact sur les stéréotypes de genre. L’injure, qu’elle soit physique, verbale ou écrite, est courante dans une société basée sur l’honneur, telle que celle du XVIIIe siècle, et dans laquelle les prévenus comme les injuriés sont très majoritairement masculins. Les termes employés sont stigmatisés selon le genre de la personne attaquée : tandis que les hommes sont attaqués sur leur honneur, leur jeunesse, leur courage ou leur réputation, les femmes sont traitées de sorcières, de vieilles ou critiquées sur leur sexualité. Dans ce contexte, les injures animales sont certes présentes, mais rares. En adoptant une approche de micro-histoire, Yang détaille deux cas : l’un d’un jeune homme qui insulte son supérieur de « bête » et le second, d’un homme comparé à un taureau pour avoir agressé sexuellement une fillette. Le taureau possède une connotation sexuelle, notamment à cause des représentations mythologiques. Cette comparaison est utilisée pour décrier la sexualité de l’homme et présume du devenir de la pédo-criminalité qui va se construire comme l’archétype du contre nature. L’historienne interroge ainsi la rareté de ces injures dans les procédures juridiques en comparaison avec le théâtre, qui fait la part belle à ces invectives : sont-elles considérées comme trop graves pour être prononcées ou, au contraire, trop légères et humoristiques pour avoir un réel impact ?

Le commentaire de MARCO CICCHINI (Genève) relève la différence des approches historiques présentées : du général au particulier et du théorique à l’étude de cas. Il met également l’accent sur deux éléments de compréhension : tandis que le XVIIIe siècle classifie pour distinguer, le XXIe met l’accent sur la fluidité des catégories, ce qui change la manière de concevoir le rapport à l’altérité. Deuxièmement, il interroge la traduction en droit de ces discours et de ces représentations. Thierry Hoquet y répond en précisant que le droit ne fait pas que donner vie aux discours, il est un discours à part entière et par conséquent ne régit pas forcément les pratiques. Par ailleurs, il rappelle que les outils de connaissance que sont les classifications aident à administrer la diversité des phénomènes. En combinant les approches, les contributions réfléchissent ainsi ensemble à la cristallisation des identités et des rapports de pouvoir qui théorisent les dominations. Ce panel rappelle les éléments mobilisés pour construire la figure de l’Homme et son rapport à la nature. Il fait état de l’intérêt central de la philosophie du XVIIIe pour les sciences de la nature comprises en tant que miroirs de l’essence humaine et a surtout permis de dévoiler que, progressivement, une conception centrée sur l’homme semble se décaler vers l’environnement de l’homme.

Aperçu du panel
Hoquet, Thierry : Hybridité, monstruosité, stérilité : une histoire naturelle des sexes et des races

Brandli, Fabrice : Bêtes, monstres et hybrides dans l’imaginaire utopique à l’époque moderne

Yang, Clarissa : Bestialités et masculinités : représentations de la monstruosité dans les injures de l’Ancien Régime

Manifestazione: 
6e Journées suisses d'histoire
Organizzato da: 
Société suisse d'histoire et Université de Genève
Data della manifestazione: 
30.06.2022
Luogo: 
Genève
Lingua: 
f
Report type: 
Conference