Organisateurs: Chantal Camenisch / Kathleen Pribyl
Participants: Christian Rohr / Kathleen Pribyl / Chantal Camenisch / Oliver Wetter
CHRISTIAN ROHR introduit la session en indiquant que les études sur le climat font partie des défis globaux de notre époque. Reconstituer l’évolution du climat sur des périodes longues permet de mieux saisir l’importance des variations observées au cours du XXe siècle. Or, beaucoup de paramètres ne sont mesurés scientifiquement que depuis un à deux siècles. Pour remonter plus haut que 1500, l’histoire documentaire n’est que rarement considérée.
Dans la première communication, Rohr se focalise sur la période médiévale. Dire si le Moyen Âge était chaud ou froid n’est pas une question à priori facile. Jusqu’en l’an 1000, la période semble plutôt avoir été froide, mais les sources sont peu nombreuses. Puis, jusque vers 1300, une phase « optimale », plus chaude, a pris place. Au contraire, pour la période de 1300 à 1500, on parle d’une mini-période glaciaire.
Le but de Rohr est de fournir des points de départ pour la recherche en sciences naturelles et historiques. L’idéal d’une histoire totale (Lucien Febvre, 1922) invite à reconstruire, d’une part, les modifications climatiques sur le long terme, puis, dans un second temps, leurs effets. Le climat a ainsi servi anciennement d’explication monocausale à divers phénomènes, tel les migrations et les établissements de population, alors qu’il n’est qu’un des paramètres engagés.
Les sources pour la reconstitution du climat peuvent être narratives, pragmatiques (livres de comptes), épigraphiques (marques du niveau de crue) ou même picturales (calendrier, représentation d’inondations dès la fin du XVe s.), en sus des archives de la nature (carottes de glace, dendrochronologie, analyses de sédiments, données spéléologiques). La disponibilité limitée de données fait souvent intervenir la reconstitution par analogie, pratique usuelle pour les sciences naturelles qui reposent sur des modèles physiques, mais plus inhabituelle en sciences humaines. Aussi, la tendance en sciences de la nature est de publier très rapidement les fruits de recherches souvent collectives, alors que les sciences humaines privilégient les publications individuelles plus longuement mûries.
Les quinze dernières années ont vu un boom des études sur les catastrophes naturelles, recherches maintenant étendues jusqu’au XIIe siècle. Les données de la nature, ponctuellement disponibles sur de grandes durées, ne permettent pas une grande précision. Les témoignages humains, même si souvent subjectifs - comment interpréter un “hiver très froid” ? - permettent des datations extrêmement précises. Ainsi, joindre les données issues des sciences naturelles et des sciences historiques représente une forme d’interdisciplinarité novatrice et fructueuse.
Parfois les indications sont indirectes : la gravité d’une inondation pourra être déduite du degré d’importance des réparations enregistrées par les dépenses communales. Les mesures phénoménologiques ne débutant qu’au XVIIIe siècle, on utilise l’échelle mise en place par Pfister en 1985, jaugeant de -3 à +3 l’importance relative de pairs de critères comme chaud-froid ou humique-sec. Plus l’éventail des données est large, plus les chances de reconstitution sont grandes.
Un projet de reconstruction du climat suisse depuis 1500 est presque achevé. Un projet similaire existe maintenant pour le Moyen Âge européen : www.Euro-climhist.unibe.ch.
KATHLEEN PRIBYL présente les résultats d’une recherche sur les températures et les précipitations de la fin du Moyen Âge, pour la période d’avril à juillet, dans le comté anglais de Norfolk. La période d’avant 1300 est plutôt positive, alors que celle qui suit est ponctuée par des pestes et des famines. La méthode consiste à recueillir des indications quant aux dates des moissons, qui dépendent particulièrement du climat. La faible évolution des techniques agricoles avant l’industrialisation assure une certaine exactitude du moins relative aux datations.
Les territoires des manoirs de Norfolk ont consigné ces dates pour la période 1256-1371, tandis que les prieurés de cathédrale permettent même de remonter jusque vers l’an 1000. Une comparaison est même possible avec l’espace scandinave, assez proche. Le comté de Norfolk donne des informations sur la période continue la plus longue, alors que la température ne commence à être mesuré en Angleterre qu’à partir de 1649. Les dates observées varient selon la longueur des semailles, la température, et le taux de précipitation, tout en pouvant être faussées par la quantité de travailleurs impliqués ; il faut donc superposer les sources.
Ce sont les années extrêmes qui ressortent le plus d’une telle étude, bien que le climat anglais, océanique, connaisse peu de variations. On constate que les années 1283, 1294 et 1314 furent particulièrement froides et humides, ce qui correspond aux périodes de grandes famines. 1335 et 1346 furent aussi moins favorables, avec une certaine sécheresse. Après 1350, les températures baissent, et le temps devient de plus en plus mauvais. Puis, de 1360 à 1400, il fait de nouveau chaud et particulièrement humide. Il faut toutefois tenir compte de la peste, qui diminue de moitié environ les cinq millions d’habitants que l’on prête à l’Angleterre vers 1359, diminuant la demande en denrées alimentaires. La peste se transmet mieux quand les températures sont élevées : il s’agirait peut-être d’une maladie de la chaleur, de surcroît pour les villes italiennes.
Une question posée suggère de considérer le prix des denrées alimentaires, pour voir si la peste affecte différemment les villes et les campagnes.
CHANTAL CAMENISCH a étudié le climat de la Bourgogne néerlandaise au XVe siècle. Il s’agit d’une zone à densité urbaine particulièrement élevée pour l’époque (jusqu’à 50%), au climat doux, humide et plutôt venteux, avec une grande proportion de zones côtières, qui est de plus une plaque tournante du commerce maritime, fluvial et terrestre. Diverses sources narratives, mais aussi des archives institutionnelles (villes, hôpitaux, confréries), donnent des indications indirectes quant aux conditions climatiques, voire directes pour les cas exceptionnels (tel que le froid permettant le transport en charrette du blé directement par une rivière gelée pendant une dizaine de semaines en 1408).
En classifiant les informations ainsi récoltées selon l’échelle relative de Pfister, on peut reconstruire les températures hivernales et la période du printemps de 1400 à 1500. Pour les étés de 1453-6, on peut remarquer le fort degré de précipitation, ce que justifie l’activité volcanique d’alors sur le globe.
Le prix des denrées est une importante source d’information continue, car il dépend de l’offre et de la demande, tout en représentant en général les trois quarts du budget d’une famille. En prenant en compte des facteurs comme la variation de disponibilité de monnaies précieuses, et des tables des prix par ailleurs publiées, on peut constater que ces résultats corroborent pour l’essentiel les données climatologiques; ainsi, les denrées alimentaires étaient plus chères durant les années froides et sèches. De telles corrélations doivent toutefois tenir compte de facteurs politiques comme les épidémies ou les crises politiques et les guerres.
Roch souligne que la thèse de Camenisch fut la première recherche qui reconstitua un printemps et un automne pour le Moyen Âge.
La communication d’OLIVER WETTER porte sur la reconstitution du climat dans l’espace helvétique. Il revient d’abord sur les méthodes statistiques employées et les techniques de corrections pour homogénéiser les résultats, ainsi que sur la calibration des mesures, avec une période de mesures initiales, puis une de vérification.
Wetter tâche de reconstituer les dates de l’activité agricole (semailles, récoltes) en continu jusqu’en 1770, date à laquelle les méthodes évoluent et commencent à se mécaniser. Il y aurait ainsi un répertoire de dates qui pourrait être utilisé pour des comparaisons ultérieures avec les analyses de température et d’humidité en Europe. On dispose de témoignages très précis sur des cas extrêmes, telles les très faibles précipitations de 1540 : aucune en février ni en avril, juste un jour en mars. Le sol alors sec empêche l’évaporation d’eau pouvant rafraichir l’atmosphère, laissant la chaleur s’auto-alimenter : les températures d’avril à juillet 1540 durent être 4 ou 5 degrés au-dessus de la moyenne. La probabilité d’avoir si peu de précipitations quatre saisons d’affilée reste basse, mais un parallèle peut justement être établi avec 2003 ou 2011. Pour 1540, des corrélations sont à faire pour une reconstitution à l’échelle européenne : de nombreux cas d’incendies de forêts en Allemagne ou d’inondations en Europe du Sud et en Russie sont relatés. Le niveau extrêmement bas du Rhin pourrait aussi être mis en parallèle avec le niveau historiquement bas de 1875 (1/10 du flux normal moyen de 1808-1912).
La discussion finale souligne encore que l’automne reste la période la plus difficile d’accès au Moyen Âge, car elle n’est pas pertinente dans l’agriculture.
Christian Rohr: Wie warm oder kalt war das Mittelalter? Überlegungen zu den Möglichkeiten und Grenzen grossräumiger Klimarekonstruktionen auf der Basis von Dokumentendaten
Kathleen Pribyl: Witterung, Getreideproduktion und Sterblichkeit. England im Spätmittelalter
Chantal Camenisch: Endlose Kälte: Witterungsverlauf und Getreidepreisschwankungen in den burgundischen Niederlanden im 15. Jahrhundert
Oliver Wetter: Rekonstruktion von Klimaparametern anhand historischer institutioneller Aufzeichnungen