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Panel: Propagande et pouvoir : le cas de l’affiche politique après 1989 en Europe

Autor / Autorin des Berichts: 
James Barras
james.barras@unifr.ch
Université de Fribourg

Zitierweise: Barras, James: Panel: Propagande et pouvoir : le cas de l’affiche politique après 1989 en Europe, infoclio.ch Tagungsberichte, 2016. Online: infoclio.ch, <http://dx.doi.org/10.13098/infoclio.ch-tb-0140>, Stand:


Organisateur : Philippe Kaenel
Participants : Gianni Haver, Katarzyna Matul et Bettina Richter

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Animée par PHILIPPE KAENEL, cette session s'est penchée sur l'étude des affiches politiques en Europe après 1989. La démarche se situe au croisement de l'histoire sociale, de l'histoire de la technique et de l'histoire des médias, qui est un domaine relativement nouveau depuis l'apparition de la Toile, qui agit comme un relais numérique des débats et une plate-forme de réception.

La première contribution de cette session interroge l'affiche politique à travers son récent emploi par la droite populiste suisse. Après avoir rappelé que l'affiche appartient au domaine de la communication politique, avatar contemporain de ce qu'on appelait autrefois la propagande politique, GIANNI HAVER présente une affiche dont il propose l'analyse. Il s’agit d’une affiche électorale produite par Oskar Freysinger lui-même, tirée à un millier d'exemplaires à l'occasion des élections fédérales de 2011, et qui simule un acte de vandalisme à son encontre. En effet, sont dessinés au feutre noir sur le visage de l'homme politique une paire de lunettes noires et un couteau a été ajouté entre ses dents ; des commentaires insultants – « débile », « à pendre » – complètent le tableau pour donner l'impression que Freysinger a été condamné par la marque iconoclaste de la vox populi [1].

Gianni Haver souligne que si les images véhiculent des discours, leur lecture n'est pas toujours évidente. Pour comprendre cette affiche, c'est-à-dire pour saisir la totalité des messages qu'elle transmet, il adopte une démarche rétrospective. Premièrement, l'objectif peut être identifié grâce aux éléments visuels synchroniques comme le visage souriant, le nom du candidat et celui de son parti, l'UDC. Le message aurait pris un tout autre sens sous une autre signature. Puis, d'autres indices diachroniques révèlent leur charge sémantique lorsque l'on prend en considération l'histoire des débats politiques valaisans. Ainsi l'origine de l'épithète « débile » et sa récupération symbolique dans la rhétorique du candidat UDC s'expliquent par une déclaration de son concurrent politique valaisan, Christophe Darbellay, qui avait qualifié l'« UDC, [de] secte de débiles. » Défaut moins inquiétant « que d'être affecté de sectarisme débile », avait répliqué Oskar Freysinger. Ce voyage dans le temps nous apprend aussi que depuis l'affaire du Confédéré [2], Oskar Freysinger ne rechigne pas à court-circuiter tout rapprochement avec la symbolique nazie en se rapprochant de l'iconographie communiste par une logique d'autodérision. Cette technique, mise en œuvre de manière consciente ou inconsciente, passe par le choix du couteau entre les dents, emblème né dans l'Allemagne des années 1930, mais dont le sens a changé à plusieurs reprises. D'abord utilisé pour stigmatiser les communistes, puis revendiqué par eux, le symbole est recyclé ad nauseam [3]. Il finit par signifier la lutte et la révolution assumée, mais sa polysémie, qui alimente ses multiples usages, trahit un système moderne de représentations où le détournement caractérise les images que nous consommons et réduit parfois leur lisibilité.

Dans la deuxième contribution, MATUL KATARZYNA se penche sur l'affiche politique de la transition démocratique des années 1980 en Pologne. À cette époque, les affiches commanditées par le parti communiste manquent d'authenticité. Elles mettent en scène une réalité idéalisée, qui prend la forme de projections utopiques et injonctives. Ces produits du réalisme soviétique cher aux cadres du parti communiste occupent un espace public qu'une opposition politique investit en proposant une alternative visuelle. Né en août 1980 dans une contexte de crise économique et de tensions sociales, le syndicat Solidarité (Solidarnosc en polonais) a mené le mouvement d'opposition vers la transition démocratique grâce à la force des affiches politiques au premier rang desquelles figure le logo du syndicat réalisé par Jerzy Janiszewski [4].

Graphiquement, les onze lettres rouges et manuscrites Solidarność symbolisent la solidarité de ceux qui, en rangs, luttent pacifiquement contre les injustices du pouvoir lors des manifestations. Le logo a été apposé à de nombreuses affiches politiques, comme ce détournement du poster du film High Noon où un cow-boy joué par Gary Cooper tient dans sa main un bulletin de vote et semble exhorter l'observateur à rendre la justice en participant aux élections du 4 juin 1989 [5].

Dans la dernière contribution, BETTINA RICHTER focalise son analyse sur l’affiche dans les récentes campagnes électorales en Allemagne, en France et en Suisse. Les cas étudiés indiquent que l'affiche reste un support très utilisé et que le portrait de candidat demeure la rhétorique visuelle la plus efficace. L'étude de cette nouvelle mise en scène du visage politique révèle des règles formelles similaires à celles de la publicité commerciale. Par ailleurs, si certaines modalités changent au fil du temps, plusieurs topiques se retrouvent dans des contextes historiques, géographiques et culturels très divers. Ainsi, la mise en scène d'une première candidature diffère de celle où la position du candidat est consolidée. Un portrait frontal signale la fiabilité, promet la sécurité et construit un contact entre l'électeur potentiel et le candidat qui simule l'absence de médiation. Selon cette typologie, une variation du portrait frontal présente un individu qui ne cherche pas le contact visuel avec l'observateur, parce qu'il regarde au loin. Dans ce cas, c'est un candidat visionnaire qui s'appuie sur le crédit supposé que lui donne sa carrière. D'autres types d’autopromotion existent comme l’ami du peuple ou le légitime dépositaire des ancêtres. Il s’agit toujours de trouver un bon équilibre entre autorité et authenticité, entre mise en scène et identité.

Angela Merkel est l’une des rares femmes ayant exercé le pouvoir sur une longue durée. À ce titre, ses nombreuses affiches électorales fournissent une abondante source d'analyse visuelle. Elle se présente de plus en plus sous les traits d'un personnage qui s'affirme, tendance qui ira jusqu'à lui faire endosser le rôle d’une mère de la nation. Toujours habillée en blazer, tout en variant les couleurs, et portant la même coiffure , mais toujours plus soignée, elle met en scène des éléments qui symbolisent à la fois la continuité et la flexibilité de son personnage.

De leur côté, les candidats masculins disposent d'un nombre plus restreint de symboles. La garde-robe, la coiffure et le maquillage ne font généralement pas l'objet d'une mobilisation discursive chez les politiciens. En 2007, Nicolas Sarkozy se présente de manière frontale, mais son visage cède l'espace central à un paysage stylisé. Le topique de la présence asymétrique est un classique de l’affiche électorale française, toutes couleurs politiques confondues. Différents partis partagent également l'usage de certaines couleurs. Par exemples, le bleu habille tant les affiches électorales des républicains que celle des socialistes.

Trois axes peuvent être dégagés des études de cas qui ont été proposées dans le cadre de ce panel. Premièrement, un axe géopolitique qui replace l'usage des affiches dans des contextes historiques différents, mais tous caractérisés par des rapports de force. Deuxièmement, ces transformations politiques ont coïncidé avec une évolution des procédés de fabrication. Les différentes techniques d'impression telles que la lithographie, l'offset ou l'héliographie ont joué un rôle dans les pratiques de la séduction électorale. Troisièmement, déterminées par un contexte historique et une certaine matérialité, les affiches ont mis en œuvre de nouvelles techniques d'influence afin de réaliser les objectifs dont elles étaient investies par les acteurs de leur production.

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[1] Pour une photo de l'affiche, voir Grégoire Favre, notrehistoire.ch, LINK, 22 septembre 2011, consulté le 12 juin 2016.
[2] Le journal, proche du parti radical valaisan, avait publié une image qui associait les portraits de Freysinger et d'Hitler et sous-titrée « Autrichiens, on a déjà donné ».
[3] Notamment par le cinéma. Voir les Temps modernes (1936) de Charlie Chaplin où la Gamine coupe des bananes destinées aux pauvres victimes de la crise de 1929, puis apparaît le couteau entre les dents.
[4] Logo News, LINK, consulté le 12 juin 2016.
[5] Polish poster gallery, LINK, consulté le 12 juin 2016.

Aperçu du panel
HAVER, Gianni. Remplois symboliques dans les affiches électorales de la droite populiste suisse.

MATUL, Katarzyna. L’affiche de la « transition » – la transition de l’affiche en Pologne autour de 1989.

RICHTER, Bettina. Gesichter der Macht – Merkel, Sarkozy und Hollande im plakativen Dialog.

Evènement: 
4e Journées suisses d'histoire
Organisé par: 
Société suisse d'histoire et Université de Lausannne
Date de l'événement: 
11.06.2016
Lieu: 
Université de Lausanne
Langue: 
d
f
Report type: 
Conference
Fichiers attachés: