Le portail suisse pour les sciences historiques

Panel: The power of identifying superstition

Autor / Autorin des Berichts: 
Maxime Papaux, Université de Fribourg
maxime.papaux@unifr.ch


Zitierweise: Papaux, Maxime: Panel: The power of identifying superstition , infoclio.ch Tagungsberichte, 2016. Online: infoclio.ch, <http://dx.doi.org/10.13098/infoclio.ch-tb-0118>, Stand:


Responsable: Yann Dahhaoui
Participants: Boris Klein, Christian Grosse, Damien Kunik, Matthieu Pellet

Télécharger la version PDF

Dans son mot d’introduction, YANN DAHHAOUI proposa d’observer par le présent panel les instances s’arrogeant le pouvoir de définir la superstition aussi bien dans des sociétés où la notion est émique que là où elle fut importée. Il s’agit d’analyser qui recourt à la notion de superstition, dans quel contexte religieux, politique et culturel, et pour quelles revendications. Avant de laisser la paroles aux trois intervenants, l’historien illustra la constante redéfinition contextuelle du concept par l’entremise d’une brève chronologie relatant l’évolution de sa compréhension: dès Cicéron et Tite Live, la superstition, entendue comme respect ou craintes excessives en matière de culte, fut négativement connotée; le terme fut ensuite récupéré par la théologie médiévale voyant dans cet excès - exprimé par le préfixe super - le fait de rendre un culte inadéquat; plusieurs philosophes du XVIIe siècle perçurent quant à eux la superstition comme un excès contraire à la raison; au XIXe siècle, les sciences sociales y virent pour leur part une survivance de croyances et de pratiques anciennes.

BORIS KLEIN, premier panéliste, fit état de ses recherches sur la notion de superstition dans l’Empire germanique durant la période s’étendant de 1580 à 1690. L’historien partit du double constat selon lequel le concept ressurgit à l’occasion des débats liés à la Réforme (le recours à cette notion permettait de se légitimer et se définir en dénonçant la dérive des pratiques et traditions de la confession adverse), et fut ensuite intégré au discours polémique de la nouvelle médecine de la fin du XVIe siècle, notamment à l’occasion de la réfutation des écrits de Paracelse sur l’alchimie. L’objet de cette présentation fut ainsi d’expliquer la migration de cette notion théologique vers le vocabulaire médical en illustrant son propos par quelques extraits de sources.

L’exposé commença en relevant la critique réformée dénonçant la domination de la papauté accusée de confisquer la vérité en s’arrogeant le pouvoir exclusif de dénoncer la superstition et appelant à une rationalisation du christianisme conjointement à la relecture des textes antiques. Il s’agissait par là de purifier l’Eglise de ses superstitions (Aberglaube) symptomatiques de ladite « maladie papiste » tout en évitant l’incroyance (Unglaube), une pensée exprimée notamment dans les écrits de Jakob Renetius (1612).
Le transfert terminologique semble alors se situer à la croisée des contextes de la Réforme, de l’humanisme et de la révolution scientifique, autour de la notion de rationalité, qui apparaît comme une nouvelle valeur opposée à la superstition, sans pour autant impliquer un recul du sacré dans la société de l’époque moderne. Boris Klein observa que la théologie luthérienne ouvrit une nouvelle compréhension de la matière selon laquelle Dieu ainsi que les miracles et la magie n’habitent plus la nature; elle exclut ainsi toute manifestation surnaturelle. Cette pensée s’accompagna d’une rationalisation des sciences naturelles reposant désormais sur des preuves issues de l’expérimentation; c’est alors que la science recourut au pouvoir polémique du terme superstition pour définir et légitimer ses nouveaux principes et méthodes.

CHRISTIAN GROSSE ouvrit ensuite son propos en caractérisant la superstition comme un concept éminemment relationnel et relatif, lié à une frontière entre norme et excès en constante renégociation selon le contexte d’utilisation. L’intervenant précisa alors aborder la superstition sous l’angle d’un processus politique de disqualification et de domination généralement ecclésiastique, sociale, scientifique ou politique et vouloir mettre à l’épreuve l’idée de dissymétrie relationnelle entre l’autorité prononçant ce jugement disqualifiant et l’individu ou groupe qui en fait l’objet, en étudiant l’usage de la notion dans trois contextes particuliers.

Le premier contexte évoqué fut celui des controverses confessionnelles. Dans le cadre de cette lutte de conquête religieuse, la notion fut massivement utilisée par les réformés comme outil au service d’une stratégie politique visant essentiellement à discréditer les croyances et les pratiques d’une Église catholique dépeinte alors comme idolâtre et superstitieuse. Or, Christian Grosse remarqua que dans ce cas, l’acteur faisant usage de la notion disqualifiante n’était pas en position de domination.

Le second exemple se concentra sur la période de sortie progressive de la chasse aux sorcières dès 1580. Ce contexte témoigne d’un glissement voyant le terme de superstition se substituer à celui de sorcellerie. Ce qui était autrefois perçu comme une hérésie découlant d’un pacte avec le diable fut désormais interprété comme une erreur superstitieuse, idolâtre ou païenne. La superstition devint désormais synonyme d’ignorance. L’intervenant mentionna le « Traité des superstitions qui regardent les Sacrements » de Jean-Baptiste Thiers dont l’objet fut de passer en revue les croyances et pratiques populaires décrétées comme superstitieuses par la seule autorité reconnue légitime en la matière, à savoir l’Eglise. Dans ce contexte, qui confirme l’idée d’une dissymétrie relationnelle, la catégorie superstition fut étroitement liée au « petit peuple », aux femmes, au milieu rural et aux marginaux, dont l’ignorance et la crédulité présupposées étaient alors perçues comme propices aux interprétations erronées et aux excès de croyance.

En troisième lieu, Christian Grosse observa la polémique sur l’usage de la baguette divinatoire survenue dans les années 1692-1694. La controverse sur le caractère naturel ou superstitieux de la pratique - déjà ouverte par Pierre Le Brun sur mandat de l’évêque de Grenoble en 1689 - atteignit son acmé lorsque l’instrument fut utilisé non seulement pour identifier des phénomènes physiques (sources, mines, bornes, etc.) mais également pour révéler des réalités morales (identification de criminels - confer affaire du sourcier Jacques Aymar). Ce dernier cas eut pour vertu de montrer que les acteurs des débats sur la superstition n’épousent pas toujours les positions idéologiques que l’on attend d’eux. Alors que l’Eglise dénonçait la pratique, les instances civiles, médicales, intellectuelles et populaires se montraient davantage favorables. Ainsi le pouvoir d’identifier la superstition, autrefois détenue par une seule autorité, tendit dès le XVIIe siècle à se construire à travers le débat.

DAMIEN KUNIK et MATTHIEU PELLET s’employèrent finalement à comparer deux aires culturelles de tradition polythéiste temporellement et géographiquement fort éloignées, à savoir la Grèce antique et le Japon du XXe siècle.

Damien Kunik releva en premier lieu qu’absent de la culture indigène japonaise n’ayant pas pour coutume de déterminer si un savoir religieux était vrai ou faux, le concept de superstition fut introduit, traduit et adapté par les Jésuites du XVIe siècle sur la base de la langue chinoise - non sans susciter certaines difficultés de compréhension parmi la population locale. Après une période d’environ trois siècles (1587-1873), marquée par l’expulsion des missionnaires chrétiens, la réouverture du Japon s’accompagna d’une réactivation de la notion de superstition comme outil utile à la création d’une nouvelle religion d’Etat reposant sur une vision romantique d’un Shinto expurgé de tout ajout exogène. La notion de superstition se manifesta ici comme un moyen politique auquel l’on recourt pour délimiter une nouvelle norme par le rejet. L’intervenant précisa ainsi que le Japon exploita le concept uniquement dans un contexte politique visant à uniformiser la religion nationale.

Matthieu Pellet remarqua pour sa part qu’en Grèce antique la superstition est à l’inverse un concept émique s’appliquant au seul contexte des pratiques jugées excessives - et non des croyances que l’on chercherait à décrédibiliser car perçues comme hétérodoxes. Dans ce système religieux syncrétique reposant sur l’orthopraxie et concevant le monde et la nature comme habités par le sacré, signes et oracles font partie de la norme ; la superstition ne peut ici être comprise que dans le cadre de la pratique religieuse. L’intervenant releva alors l’usage du terme dans la critique portée par Platon et d’Euripide à l’encontre des pratiques orphiques jugées ridicules, tout en relevant que la superstition n’était donc par affilié à un rapport d’autorité ou de domination.

D’un point de vue général, le panel mit en lumière le caractère non seulement normatif et relationnel mais également fondamentalement relatif d’une notion discréditante, redéfinie selon son contexte d’emploi par diverses instances délimitant une forme orthodoxie dépassant le simple cadre théologique.

_____________________

Aperçu du panel:

GROSSE Christian, Une méthode pour « discerner » la superstition: Pierre Le Brun et son « Histoire critique des pratiques superstitieuses qui ont séduit les peuples, et embarrassé les sçavans » (1702).

KLEIN Boris, La notion de superstition dans l’espace germanique à l’époque de la confessionnalisation: du discours théologique à l’approche médicale.

KUNIK Damien et PELLET Matthieu, La notion de « superstition » en histoire comparée des religions: Grèce antique et Japon du premier XXe siècle.

Evènement: 
4e Journées suisses d'histoire
Organisé par: 
Société suisse d'histoire et Université de Lausannne
Date de l'événement: 
10.06.2016
Lieu: 
Université de Lausanne
Langue: 
f
Report type: 
Conference
Fichiers attachés: