Organisatrices: Alix Heiniger, Sarah Scholl
Participantes: Sarah Scholl, Stéphanie Lachat, Alix Heiniger, Stéphanie Ginalski
Le panel a thématisé la place des femmes dans la société suisse de la fin du XIXe et du début du XXe siècle en analysant les représentations sociales liées à leur rôle de mère, d’ouvrière ou encore de philanthrope. Les analyses ont mis en lumière les nouvelles contraintes et les vecteurs potentiels d’émancipation qui émergent à l’époque et ont discuté des limites de la séparation entre sphère publique et sphère privée pour comprendre l’évolution de la place des femmes dans les sociétés modernes.
En comparant deux sortes de manuels de puériculture du début du XXe siècle, les brochures de santé publique, d’une part, et des manuels de médecins et d’hygiénistes, d’autre part, SARAH SCHOLL (Université de Genève) avance que ce matériel s’avère idéal pour décrypter l’idéologie soutenant l’expression des valeurs sociales liées à la figure de la mère et de la maternité.
Dans un contexte où la pédiatrie n’existe pas encore comme discipline et où la récente découverte de la pasteurisation vient alors de progressivement rendre obsolète « la mise en nourrice », les manuels de puériculture permettent d’observer l’évolution des pratiques culturelles. Sont présentés tour à tour le manuel du genevois Etienne Golay, « Conseils aux jeunes mères : hygiène et éducation de l’enfant » de 1894 qui s’adresse à une clientèle plutôt aisée et « Le petit manuel des mères » de Marguerite Champendal, première femme médecin de Suisse et fondatrice de l’association « La Goutte de Lait ». Publié en 1916, le deuxième, tiré à plus de 450'000 exemplaires, réédité maintes fois et survivant aux deux guerres mondiales, restera dans les annales. La conception de ce que doit être une bonne mère qui en ressort se caractérise par deux éléments : premièrement, l’existence d’un instinct maternel considéré davantage comme une spécificité féminine passant par des connaissances à acquérir que comme un élan naturel comme chez la femelle animale et, deuxièmement, l’idée que désormais les autorités en matière de puériculture doivent être des médecins. Golay insiste sur le rôle de maîtresse de maison auquel doit se consacrer la mère et revient sur la nécessité de l’aide des domestiques. Champendal, quant à elle, explique que la mauvaise mère, par nécessité ou par négligence, s’illustre par son oisiveté : le travail domestique et l’allaitement étant considérés comme des charges nécessitant l’abnégation, son ouvrage vise à soutenir son public et à l’avertir des efforts nécessaires à la maternité.
En utilisant les méthodes de l’histoire orale et des sources iconographiques, STEPHANIE LACHAT (Université de Genève) propose une analyse par le biais de la micro-histoire des ouvrières travaillant dans l’horlogerie à Saint-Imier, un village du Jura bernois. Son analyse vise à expliquer la perception positive du travail des femmes dans le secteur de l’horlogerie, domaine où les femmes représentent la moitié de l’effectif en 1920.
Dès 1867, l’emploi d’ouvrières spécialisées au sein de l’usine Longines, en raison de contraintes liées aux horaires et au lieu de travail, pose la question de l’articulation famille-emploi pour les employées. Une photographie présentée par Stéphanie Lachat montre des ouvrières et des ouvriers sur le chemin rentrant de la fabrique ; cette mixité affichée se doit d’être tempérée car s’il est vrai que le secteur horloger est paritaire, des tâches clairement définies sont attribuées à chaque sexe à l’intérieur de l’entreprise. En plus d’être des employées, ces femmes sont également mères et ménagères : ceci a un impact sur la manière dont elles se perçoivent et sont perçues. Le statut particulier propre au domaine horloger - synonyme d’industrie de luxe, d’excellence nationale et d’élites - véhicule une représentation positivement connotée qui s’illustre par l’adoption de la part des ouvrières de comportements vestimentaires bourgeois. De plus, les qualités requises dans ce métier comme la dextérité et la patience, perçues comme des vertus spécialement féminines, viennent appuyer la justification de la présence des ouvrières dans ce secteur. Une deuxième illustration est une publicité Ovomaltine montrant une employée accueillant sa famille dans un foyer exemplaire. Le slogan publicitaire préconise la consommation de la boisson maltée comme solution pour assurer le maintien de ce qui est nommé comme « la double tâche ». En effet, parallèlement à des aménagements publics visant à faciliter le travail des femmes - par exemple l’aménagement de crèches - la mère se doit de rester le pilier familial. Cette double fonction se retrouve dans une photographie de 1968 qui montre une ouvrière à domicile, travaillant une pièce dans une chambre d’enfant. Le travail à domicile dans l’horlogerie est la conséquence d’une adaptation des patrons au cours des trente glorieuses qui ne pouvaient se permettre de perdre du personnel qualifié dans une période de boom économique.
Les deux dernières panélistes, ALIX HEINIGER et STEPHANIE GINALSKI (Université de Lausanne) présentèrent une partie d’un projet de recherche plus vaste dont l’objectif est de comparer les espaces de coordinations des acteurs philanthropiques entre Genève, New-York, Londres et Paris.
En se basant sur l’Annuaire Philanthropique genevois publié en 1903, qui recense les œuvres de bienfaisance suisses ainsi que leurs adhérents, 706 associations genevoises furent classées en sept catégories (but principal, organisation, public, etc.) et leurs membres saisis dans une base de données. Ce procédé permit ensuite d’analyser les réseaux que forment les affiliés actifs au sein de plusieurs associations et d’établir ainsi un graphique des liens entre associations philanthropiques à Genève. Il ressort de cette étude que les hommes sont dans l’ensemble plus nombreux mais que le réseau féminin est proportionnellement plus dense au sein des institutions philanthropiques les mieux « connectées ». Les affiliés de ces institutions philanthropiques appartiennent en très grande majorité aux élites protestantes, bon nombre de pasteurs jouant un rôle prépondérant comme liens entre les différentes associations. Certaines d’entre elles, au sein desquelles la représentation féminine est importante, sont engagées dans la lutte contre la prostitution et cherchent à prévenir la population des dangers qui guettent les jeunes filles se rendant à l’étranger (Fédération abolitionniste Internationale, Association des Amies de la Jeunes Filles, etc.)
Plusieurs considérations ont émergé au fil de ce panel. Sarah Scholl a démontré qu’à l’aube du XXe siècle, la fonction de mère commence à être considérée comme nécessitant une formation et des compétences spécifiques. Toutefois, l’idée que certaines tâches soient sous-traitées à des domestiques reste légitime. A travers les manuels de puériculture, certaines problématiques qui étaient jusque-là du ressort de la sphère privée commencent à faire l’objet de débats au sein de la sphère publique. Malgré la légitimité pionnière de leur rapport à l’emploi dans le secteur de l’horlogerie et une identité professionnelle forte, Stephanie Lachat a montré que la représentation de la femme comme gardienne du foyer familial n’a pas été remise en cause. Enfin, Alix Heiniger et Stephanie Ginalski ont mis en évidence le fait que, tout en légitimant la présence active des femmes dans les œuvres de bienfaisance, certains protagonistes de la scène philanthropique genevoise faisaient preuve d’une grande prudence en présentant ce même espace public comme dangereux. La capacité des femmes à interférer dans la sphère publique devient donc porteuse de dichotomies spécifiques en étant à la fois un biais d’oppression et un moyen d’émancipation.
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Aperçu du panel:
SCHOLL Sarah: Le travail d'être mère. Pouvoir domestique et inculcation des normes de soin au nourrisson entre 1870 et 1910.
LACHAT Stéphanie: La mise en place de la logique de la « double tâche ».
HEINIGER Alix et GINALSKI Stéphanie : Une approche genrée de l'action charitable à travers le réseau des philanthropes.