Organisateurs: Joelle Droux
Participants: Alexandre Fontaine / Damiano Matasci / Gregory Meyer / Joelle Droux / Blaise Extermann / Rita Hofstetter
Modération: Daniel Trohler
Sous la responsabilité de JOËLLE DROUX, de l’Université de Genève, s'est tenu le 7 février 2013 un panel intitulé “Une fabrique locale de la globalisation: la Suisse romande et le mouvement d'internationalisation de l'éducation (1880-1939)”.
Le panel s’est déroulé en l’absence de RITA HOFSTETTER et DAMIANO MATASCI. Mme Droux a commencé par préciser que l’accent sera mis sur la Suisse Romande et sur un espace donné, la ville de Genève, comme une fabrique de la globalisation.
La première intervention fut celle d’ALEXANDRE FONTAINE, doctorant à l'Université de Genève, sur “la tentative manquée d'une Association pédagogique universelle (1865-1875)”. L'intervenant essaye d’éclairer un chapitre d'histoire ignoré des historiens en allant "aux sources" des initiatives de globalisation de la Société des instituteurs de Suisse romande (SIR). Il décrit la mise en place de cette société, qui s’est soldée par un échec, tout en soulignant l’impact au niveau local de cette association transnationale. L’idée de créer une association universelle a appartenu à la SIR qui, le 15 mars 1865, prend contact avec la conférence des institutrices et des instituteurs de la Seine. Mais les causes de l’échec sont multiples : la France n'a pas encore de société d’enseignants, les participants, censés être des pédagogues, étaient surtout des politiques, manque de moyens financiers, les pays devaient être constitués en république scolaire. La presse contribue aussi à la création d’un réseau européen libéral national de la pédagogie. En ce qui concerne le dernier point, l'impact de cette association, le passage du global au local, la posture romande, la confédération fait « ce qu’elle peut et ce qu'elle doit de l'intérêt de l'éducation populaire».[1] En France, nous assistons à une prise de conscience de l'importance du mouvement associatif et de la nécessité de rassembler les instituteurs dans des structures provinciales. En 1885, au Havre, Gustave Francolin publie Les congrès des instituteurs au Congrès International des instituteurs. Il faut attendre le début du XXe siècle pour trouver en France des associations.
A la question de savoir s’il y aurait un lien entre la création de cette association et les expositions universelles, A. Fontaine répond que le mouvement continue avec les expositions mais qu’il ne sait pas si ce sont les expositions qui propulsent cette association.
En l'absence de son collègue de l'Université de Heidelberg, MATASCI DAMIANO, c'est GREGORY MEYER, assistant en histoire contemporaine à l'Université de Genève, qui présente leur communication sur "la construction de la "communauté globale"" suite à l'implantation de la Société des Nations (SdN) à Genève dans l'entre-deux-guerres.
Cette communication tente de montrer comment un espace local devient un lieu d'apprentissage de l'international, plus précisément comment Genève devient un passage obligé de l'internationalisme. Gregory Meyer met en évidence le phénomène d'auto-fabrication et l'auto-alimentation de ce phénomène une fois la SdN établie à Genève. Les organisations internationales implantées à Genève ont constitué un gage de légitimité, Genève octroyant de ce fait un certificat d'internationalité. Le rôle majeur de toutes sortes d’activités éducatives dans l’apprentissage de l’international est souligné fortement dans cette communication. Autour de la promotion de la paix surgit une collaboration pédagogique dans le but de procéder à un changement des esprits et des structures mentales. Seuls les enseignants seuls peuvent faire jaillir une pédagogie de la paix. Jean Piaget propose une méthode pour inculquer aux enfants des valeurs de solidarité, de justice, même si un enseignement abstrait des idées pacifistes ne suffirait pas à l'action. Six cours d'été destinés aux enseignants ont été mis en place en vue de développer l'esprit de coopération internationale. Les bibliothèques offraient des ressources. Munis de la volonté de saisir l'international, des professeurs de l'université de Genève jettent les fondements des études internationales. A la question de savoir si les enseignants du secondaire participaient à cet apprentissage pour la paix, Gregory Meyer répond que les sources sont en ce sens très faibles.
D’après JOËLLE DROUX, les chercheurs privilégient l’étude de ce phénomène de globalisation par les organisations internationales en tant qu'elles facilitent les contacts entre différentes aires culturelles et entre les réseaux associatifs. Par contre, ce qu’elle tente de mettre en œuvre, c’est une approche des liens qui unissent ces organisations entre elles en vue de la fabrication de l’international. Elle se concentre sur des questions sociales, sur l’aspect relationnel, et sur la fabrication internationale d’une politique de l'enfance.
La communication se fait selon trois axes principaux. D’abord, J. Droux énumère les organisations internationales qui disposaient de compétences ancrées sur le terrain de l'enfance, à savoir l'Organisation internationale du travail et le BIT (1919), qui contrôlaient le travail des enfants, la Société des Nations (1919), qui avait créé une Commission consultative sur la traite des femmes et des enfants, le Comité de protection de l'enfance (1925), transformé en Comité des questions sociales (1937), l’Union Internationale de Secours aux Enfants (1919), qui procédait à des expertises internationales dans ce domaine. Le sentiment de culpabilité engendré par les orphelins de guerre pousse les acteurs internationaux à investir le domaine de la protection de l’enfance.
Deuxièmement, Joëlle Droux se réfère au “personnel des organisations internationales, un (tout) petit monde?” Les bureaucraties s’appuyent pour leur recrutement dans les mêmes réseaux féminins et féministes, “viviers” de femmes diplômées... Elle invoque Marguerite Thibert et d’autres femmes liées au CICR. Un langage commun sur le thème de l’enfance se crée dans ces organisations internationales.
En troisième lieu, elle traite des délits d'initiés, en analysant les effets des connections, circulations et appropriations des logiques bureaucratiques, de la circulation des informations, de la fabrication du consensus autour de normes internationales, des relais de propagande et de médiatisation.
En conclusion, elle souligne son intérêt pour la micromécanique des OI, sur la construction des questions sociales au niveau des OI, en précisant que le processus de globalisation se constitue aussi par le tissu local d'espaces privilégiés. Dans le débat, elle avoue qu’elle fait de la sociohistoire et qu’elle utilise des concepts sociologiques. Mais s’intéresse-t-elle aussi aux résultats et non seulement aux processus ? Selon Joëlle Droux, pour s’intéresser aux résultats de cette politique internationale dans le domaine de l’enfance, il faut enquêter sur le terrain, en Hongrie, Bulgarie et chercher des historiens de relais, ce qui n’est pas facile. Alexandre Fontaine l’interroge sur la problématique de la réception de ces décisions qui souffriraient une transformation sémantique: les institutions veulent-elles importer le modèle en entier ou acceptent-elles les différences sémantiques? Concernant des éventuelles tensions entre les différentes organisations, elle affirme que celles-ci sont capables de retirer un sujet pour ne pas offenser une autre organisation.
Les travaux présentés dans le cadre de ce panel se terminent par une communication de BLAISE EXTERMANN qui traite de l'aspect des savoirs. Il résume l'histoire de l'enseignement de l'Allemand en Suisse romande, en mettant l'accent sur le versant politique de cet enseignement. Il explique le choix de la période, le tournant du XXe siècle et l’entre-deux-guerres, en invoquant les oppositions nationalistes entre Français et Allemands, et entre langues anciennes et langues vivantes. Les relations entre Romands et Alémaniques, et, d’autre part, celles avec les pays voisins, ne sont pas les mêmes entre le XIXe et le XXe siècle. On parle à cette époque de Suisse française et de Suisse alémanique. Il fait remarquer que la Constitution de 1848 inscrit la notion de langue nationale in extremis et que le thème national est peu présent dans les manuels du XIXe siècle. Une analyse prosopographique des premiers instituteurs démontre que ceux-ci étaient des réfugiés s’opposant à l’impérialisme allemand ou des diplômés des universités allemandes.
Le paradigme du global sert de repère pour repenser les frontières entre national, cantonal et international. Le Valais adopte la première constitution où le bilinguisme est introduit dans les institutions. Dans le Jura, par contre, la taille des écoles aurait pu contribuer à ce que l'Allemand ne soit pas si vite introduit. Là où elles cohabitent, les populations n'ont pas besoin d'école pour apprendre l'Allemand. Quant à l’enseignement du Latin, qui devient une langue nationale, on pourrait se demander dans quelle mesure le Latin est plus à même de fonder une institution publique que l'Allemand ? En effet l’Allemand doit être appris en plus de l’Italien, tandis que le Latin est utile à tous, mais nécessaire à personne.
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1 L'éducateur 20/1871, p. 305-311.
Alexandre Fontaine: Aux sources des ambitions internationales de la Société des instituteurs de la Suisse romande. La tentative manquée d’une Association pédagogique universelle (1865-1877)
Damiano Matasci et Gregory Meyer: Milieux internationaux et éducation à Genève dans l’entre-deux-guerres : apprendre et construire la « communauté globale
Joelle Droux: Les ressources humaines de la globalisation : transferts, partages et échanges d’expériences entre organisations internationales sur le terrain de l’enfance (Genève, 1919-1939)
Blaise Extermann: L’allemand dans l’enseignement secondaire en Suisse romande (1790-1940) : un enseignement au défi des frontières