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Le rapport Bergier 10 ans après

Autor / Autorin des Berichts: 
Vivien Ballenegger



Citation: Ballenegger Vivien, « Le rapport Bergier 10 ans après », infoclio.ch comptes rendus, 2012. En ligne: infoclio.ch, <http://dx.doi.org/10.13098/infoclio.ch-tb-0015>, consulté le


Ces 21 et 22 mars se tenaient à l'Université de Lausanne une série de conférences suite aux dix ans de la publication du rapport Bergier. Si la deuxième journée était consacrée à l'enseignement au niveau gymnasial des acquis du rapport Bergier, la première journée, ou plutôt soirée, a pris la forme d'un cours public. Ce compte rendu concerne le cours public, qui a principalement abordé les questions de la réception et diffusion du rapport Bergier dans les sphères politique, scolaire et scientifique. Rappelons sommairement que la Commission Bergier, mise en place par le Conseil Fédéral en 1996 a eu un mandat de cinq ans et l'accès aux archives privées pour analyser les relations entre la Suisse et le Troisième Reich durant la Seconde Guerre mondiale. Vingt-cinq études sont sorties de presse suite à ce travail titanesque, ainsi qu'un rapport final, synthèse des études, présenté le 22 mars 2002. Les intervenants du cours public de l'Université de Lausanne ont mis en évidence le climat de tensions politiques et scientifiques dans lequel la Commission Bergier a dû travailler. Ce climat a par ailleurs perduré et empêche, aujourd'hui encore, aux historiens d'approfondir les innombrables aspects passionnants de l'ensemble du travail de la Commission.

Le cours public s'ouvre avec Ruth DREIFUSS, Conseillère fédérale entre 1993 et 2002, qui souligne le fait que les conclusions du rapport Bergier n'ont pas été facile à entendre pour beaucoup de Suissesses et de Suisses. Cependant, ce travail devait être fait, notamment pour compléter le tableau d'une Suisse résistante envers le pouvoir nazi. S'il faut se féliciter qu'un tel rapport ait pu voir le jour, l'ancienne Conseillère fédérale regrette que ce dernier ait été trop vite rangé dans les tiroirs, par le Conseil Fédéral entre autres, et que cette attitude prédomine encore. Elle constate en effet que nombre de personnes sont satisfaites que ce rapport soit fini – certes – mais surtout rangé, et qu'on en parle plus.

Pietro BOSCHETTI, journaliste à la RTS et auteur d'un ouvrage plus abordable pour le grand-public et synthétique du rapport Bergier, rappelle, quant à lui, le contexte dans lequel la Commission Bergier a été créée et montre comment l'attitude du Conseil Fédéral lors de la présentation du rapport final en 2002 a préfiguré le non-débat public qui allait suivre. En 1995, une motion pour faire la lumière sur le rôle de la Suisse durant la Seconde Guerre mondiale est rejetée par le Conseil des États, et jugée inintéressante par le Conseil Fédéral. Une année plus tard seulement, est décidé la mise en place d'une commission indépendante d'experts (la Commission Bergier). C'est qu'entre-temps, les pressions internationales relatives notamment à l'affaire des fonds juifs en déshérence ont fortement incité le pouvoir politique a se pencher plus en avant sur ce chapitre de l'histoire suisse. La décision politique de la mise en place de la Commission Bergier est donc loin d'être une initiative spontanée et volontaire. Cinq ans plus tard, lors d'une discussion entre le Conseil Fédéral et la Commission Bergier suite à la présentation du rapport final, il est décidé de ne pas débattre de celui-ci en séance plénière. Selon Pietro Boschetti, cette attitude de la part des hautes instances politiques « donne le ton » pour le débat public qui va suivre. Il remarque, dix ans après, une certaine volonté d'enterrer le rapport Bergier, et se dit pessimiste quant aux possibilités qu'il suscite un réel débat.

Concernant le bilan scientifique que l'on peut faire du travail de la Commission Bergier, Hans Ulrich JOST, professeur honoraire d'histoire à l'université de Lausanne, propose quelques éléments critiques relativement à l'organisation de la Commission. Au nombre de ceux-ci, il regrette sa forte centralisation et le manque de communication avec les autres historiens dont elle a fait preuve. Il déplore également que le savoir accumulé par les collègues de Jean-François BERGIER n'ait pas pu mieux être mis à profit et surtout prolongé avec l'intégration de ceux-ci aux universités suisses. Cette tâche aurait toutefois été difficilement réalisable, la plupart des postes universitaires étant pourvus. Quant au débat qui suivit la publication du rapport, Hans Ulrich Jost mentionne que nombre de personnes critiquant le rapport Bergier ne l'ont pas lu, ce qui rend le débat très creux et pas forcément intéressant. En fin de ce cours public, et suite à une question posée en ce qui concerne la diffusion des conclusions du rapport Bergier dans les écoles, Hans Ulrich Jost souligne que l'histoire à l'école est une histoire politique, et qu'en la matière, c'est le gouvernement qui a le dernier mot. De plus, le gouvernement n'aime pas l'histoire scientifique mais lui préfère l'histoire folklorique, puisqu'une histoire scientifique est critique et donc peut potentiellement remettre en cause sa légitimité. C'est pourquoi les conclusions du rapport Bergier mettront encore de nombreuses années avant d'être intégrées aux manuels scolaires.

Marc PERRENOUD, ancien conseiller scientifique de la Commission Bergier, mentionne que le rapport Bergier a participé à la mise en avant d'une autre manière de faire l'histoire suisse. L'accent a en effet été mis sur les mécanismes économiques et financiers, mais le rapport Bergier a aussi adopté la perspective des victimes de l'histoire. En ce sens, il est à remarquer ces dernières années que d'autres volets de l'histoire suisse sont abordés, comme par exemple celui de la place de la Suisse dans la Traite des esclaves. Hormis ce changement de paradigme et sur un autre plan, un aspect essentiel relatif au travail de la Commission est celui de l'accès qu'elle a eu aux archives privées. Celles-ci ont été ouvertes sur demande du Conseil Fédéral et seulement pour les experts de la Commission Bergier durant les cinq ans impartis. De plus, sur décision du Conseil Fédéral, les chercheurs ont dû rendre toutes les archives qu'ils avaient photocopiées aux privés le demandant. Ces limitations font que les experts indépendants avaient tout intérêt à mettre un maximum de données brutes dans leurs publications, afin de pouvoir sauver ce riche matériel empirique de l'oubli, et de le réutiliser par la suite. Ceci implique qu'il est possible d'approfondir le travail effectué par la Commission, mais aussi de partir sur des thématiques pas ou peu abordées, grâce aux données publiées dans les diverses études de la Commission. Une grande partie du travail analytique reste donc à faire.

Pour Sébastien GUEX, professeur d'histoire à l'université de Lausanne, le principal problème depuis la publication des travaux de la Commission Bergier est que les apports de ces travaux ne sont pas discutés. En effet, l'historien sérieux qui veut approfondir et débattre du travail de la Commission Bergier passe son temps à mener des combats d'arrière-garde concernant la légitimité et la scientificité des travaux de la Commission. Ce problème de taille fait que les questions de fond ne peuvent être discutées et bloque l'avancement de cet objet d'études. D'autre part, Sébastien Guex constate un certain désintérêt de la part des étudiants pour tout ce qui retourne de l'histoire suisse, de l'histoire économique, et de l'histoire financière. Le peu d'intérêt et de débats suscités par le rapport Bergier au sein des universités s'explique donc en partie par ce désintérêt ambiant, augmenté d'autant plus que sa thématique reprend les trois sources de désintérêt.

Dominique DIRLEWANGER, maître d'histoire au gymnase Provence, est plus optimiste quant à l'intérêt suscité par la remise en question du rôle de la Suisse durant la Seconde Guerre mondiale, puisque, auprès de ses élèves, cette thématique rencontre un certain intérêt. Pour lui, il s'agit de se préoccuper de la formation des enseignants de manière à ce que ceux-ci osent parler du rapport Bergier. Il met aussi en avant la facilité d'accès de certaines sources d'époques, notamment à travers la base de données des documents diplomatiques suisses, disponible en ligne (dodis).

En fin de débat, il a été discuté d'une thématique similaire à celle de la Commission Bergier en ce sens qu'elle concerne les rapports économiques peu scrupuleux de la Suisse avec un autre État, et que des décisions politiques ont étés prises quant à l'accès aux archives. Il s'agit des rapports entre la Suisse et l'Afrique du Sud durant la période de l'Apartheid. Sébastien Guex, qui a dirigé des recherches sur ce sujet, souligne que l'attitude du pouvoir politique par rapport aux archives est doublement contraire à ce qu'il a été avec la Commission Bergier. En effet, le Conseil Fédéral a fermé l'accès à une partie des archives publiques (celle concernant les investissements suisses), alors que dans le cas de la Commission Bergier, le Conseil Fédéral autorisait l'accès à des archives privées. Sur ce point, Pietro Boschetti parle d'un retour en arrière. Cette décision de fermeture des archives est regrettée par Ruth Dreifuss qui met en évidence les différences entre les deux contextes. Lors de la mise en place de la Commission Bergier, cinquante ans étaient passés, et une forte pression internationale se faisait sentir. Beaucoup moins de temps nous séparent de la fin de l'Apartheid, et, excepté les victimes de ce régime et leurs avocats, bien peu de monde fait pression sur les autorités fédérales. Ruth Dreifuss a ajouté que le fait d'avoir des politiciens hauts-placés (Christoph Blocher et Hans Rudolph Merz) ayant pris part aux relations financières entre la Suisse et le régime de l'Apartheid joue un certain rôle dans la fermeture des archives publiques et n'aide en rien à réduire la zone d'ombre qui plane au-dessus du savoir relatif à ce pan de l'histoire suisse.

Durant les dernières minutes du cours public, le fils de Jean-François Bergier, alors présent dans la salle, a pris la parole et parlé du parcours de son père. Il aimerait que les jeunes et moins jeunes retiennent une caractéristique du travail de Jean-François Bergier avec la Commission, celle de la remise en cause de sa propre opinion. Marc Perrenoud a mentionné ensuite que la position de Jean-François Bergier avait particulièrement évoluée une fois qu'il fut confronté aux archives privées, et que ce qui l'avait le plus frappé était la vacance du pouvoir public par rapport à la prééminence des milieux économiques.

Evènement: 
Le rapport Bergier 10 ans après
Organisé par: 
Université de Lausanne
Date de l'événement: 
21.03.2012
Lieu: 
Lausanne
Langue: 
f
Report type: 
Conference