Responsabilité : Anaïs Mansouri
Intervenantes et intervenants : Marie-Luce Desgrandchamps, Christian Gerlach et Anaïs Mansouri
Commentaire : Sébastien Farré
Le panel « Fighting Famine » est consacré aux réponses apportées par les organisations internationales ou nationales lors de famines. Dès la fin du 19e siècle, ces phénomènes sont chargés de multiples enjeux politiques dans la mesure où ils révèlent autant les dysfonctionnements des autorités gouvernantes que des carences de ressources alimentaires d’origine naturelle. La question de la faim peut également être instrumentalisée par la population civile et SÉBASTIEN FARRÉ donne l’exemple des suffragettes et des nationalistes irlandais qui entament des grèves de la faim pour faire entendre leurs idéaux politiques. Pour venir en aide aux victimes de la sous-alimentation, les organisations humanitaires doivent opérer dans un enchevêtrement de relations internationales en lien avec des conflits armés et des régimes autoritaires. Les acteurs de l’aide internationale sont de nature hétérogène, ce qui complexifie la planification des secours ; aux organisations internationales traditionnelles, comme la Croix-Rouge ou les agences de l’Organisation des Nations Unies, s’ajoutent des organisations non-gouvernementales.
Les trois présentations du panel rendent compte de cette diversité. La communication de MARIE-LUCE DESGRANDCHAMPS (Genève) reconstitue, dans le prolongement de sa thèse de doctorat portant sur l’aide humanitaire durant la guerre civile du Biafra, l’histoire de l’aide alimentaire prodiguée dans les années 1960 par les sociétés de Croix-Rouge d’Afrique subsaharienne et plus particulièrement leur distribution de lait en poudre. L’intérêt de cette communication est double puisqu’elle interroge non seulement les liens entre aide humanitaire et processus de décolonisation, mais offre également une voix aux actrices et acteurs locaux. Prenant l’exemple des Croix-Rouge congolaise et biafraise, l’historienne démontre comment ce type de secours sert « d’interface entre le niveau national et international » et peut être utilisé comme un outil de légitimation des États fraîchement indépendants.
La contribution de CHRISTIAN GERLACH (Berne) propose une réflexion sur l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (en anglais Food and Agriculture Organization (FAO)), en analysant le discours de lutte contre la faim du début des années 1970. Gerlach constate un décalage entre les objectifs déclarés et la réalité du terrain, révélant ainsi l’impossible réalisation des objectifs fixés par les dirigeants politiques. Un décryptage de ce qu’il appelle les « leere Versprechungen » révèle le dysfonctionnement des organisations internationales. Selon l’historien, cette défaillance est le fruit de l’absorption d’un problème d’origine sociale, celui de la faim, dans la sphère technique.
La présentation d’ANAÏS MANSOURI (Genève) est consacrée à l’assistance du Programme Alimentaire Mondial (PAM) lors de la famine au Sahel en 1973-75. Après une brève présentation de l’organisation onusienne, l’historienne présente les origines multifactorielles de la crise, faisant ainsi écho à l’introduction de Sébastien Farré, puisqu’elle met en lumière la dimension anthropique de la catastrophe : déclenchée par des cycles de sécheresse, la situation est rapidement aggravée par des erreurs de surveillance et par la diminution drastique des réserves mondiales de blés. Dix ans après sa fondation, cette intervention du PAM illustre une réorientation stratégique, qui consiste à consacrer davantage de moyens financiers à l’aide alimentaire plutôt qu’à son attribution initiale, l’aide au développement. Cette crise révèle également les faiblesses de l’institution alors en quête de légitimité au sein du réseau des organisations internationales.
En substance, ces trois contributions s’inscrivent dans la continuité de l’historiographie récente de l’aide humanitaire qui ne s’attache plus uniquement à retracer l’histoire des organisations et de leurs actions de secours, mais souligne en outre les motivations politiques et économiques sous-jacentes aux élans de générosité apparemment désintéressés. Ces éléments ont d’ailleurs été soulignés lors de la discussion par Sébastien Farré qui a notamment demandé si le PAM servait d’instrument de politique étrangère pour les Etats-Unis ou, dans le cas des sociétés de Croix-Rouge d’Afrique subsaharienne, de quelles entreprises provenaient les produits distribués à la population. L’originalité des contributions réside finalement autant dans les conclusions tirées que dans le choix de sujets de recherche novateurs, qui élargissent l’étude de l’aide alimentaire à des acteurs et à des territoires encore peu analysés.
Aperçu du panel :
Gerlach, Christian : Leere Versprechungen zur Beendigung des Welthungers 1974-2015
Mansouri, Anaïs : Plutôt nourrir que développer : le Programme alimentaire mondial au Sahel (1973-1975)
Desgrandchamps, Marie-Luce : Croix-Rouge nationales et aide alimentaire dans l’Afrique des années 1960