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L'utilisation de documents audiovisuels: questions juridiques

Autor / Autorin des Berichts: 
Enrico Natale (infoclio.ch)



Citation: Natale Enrico, « L'utilisation de documents audiovisuels: questions juridiques », infoclio.ch comptes rendus, 2012. En ligne: infoclio.ch, <http://dx.doi.org/10.13098/infoclio.ch-tb-0013>, consulté le


Le 2 février 2012 s’est tenu à l’université de Berne une formation continue consacrée à « L’utilisation des documents audiovisuels : questions juridiques », organisée par Memoriav et l’association Bibliothèque Information Suisse. Le programme et les présentations des intervenants sont disponibles sur cette page.

Plus d’une centaine de personnes ont suivi cette manifestation, pour la plupart des professionnels des bibliothèques et des archives, preuve de l’intérêt et des préoccupations que soulève la question du droit d’auteur.

Introduction

Dans leur introduction, Kurt DEGGELLER, directeur de Memoriav, et Stephan HOLLÄNDER, spécialiste de l’information et co-organisateur de la manifestation, rappellent les difficultés liées au droit d’auteur rencontrées par les institutions patrimoniales pour donner accès à leurs archives audiovisuelles. Ils citent à titre d’exemple le portail Europeana, au sein duquel les documents sonores et les films sont sous-représentés à cause des incertitudes en matière de droit.

Mais qu’est-ce que le droit d’auteur ? En Suisse, le droit d’auteur, c’est tout d’abord la Loi fédérale sur le droit d’auteur et les droits voisins (ci-après LDA), dont les organisateurs avaient opportunément inclus une copie dans les documents du colloque. En quelques 84 articles, elle définit le cadre juridique qui règle les droits d’auteurs et ses usages.

Le droit d'auteur en Suisse

Cadre juridique que le premier conférencier – Poto WEGENER, directeur de Swissperform – s’est efforcé de présenter dans les grandes lignes. Il faut tout d’abord distinguer entre droit d’auteur, qui revient au créateur d’une œuvre et prend naissance avec l’acte de création, et les droits voisins, qui concernent les droits liés à l’exécution d’une œuvre existante, comme ceux des interprètes, des producteurs, et des organes de diffusion.

Deuxièmement, la loi stipule (LDA art. 10) qu’un « auteur a le droit exclusif de décider si, quand et de quelle manière son œuvre sera utilisée ». Une disposition tout à fait impossible à mettre en œuvre, car elle nécessiterait un contact direct entre les auteurs et chacun des utilisateurs de leurs œuvres. Par conséquent, la loi établit des Sociétés de gestion de droits, qui agissent comme des intermédiaires entre les auteurs et les utilisateurs. Il existe en Suisse cinq sociétés de gestion de droits :

- SUISA, pour la musique
- SUISSIMAGE, pour l’audiovisuel
- SSA, pour le théâtre et les arts vivants
- PROLITTERIS, pour la littérature
- SUISSPERFORM, pour les droits voisins

Ces sociétés représentent les intérêts des ayants droits. Elles sont autorisées à encaisser les droits d’auteurs, qu’elles redistribuent ensuite (en partie) aux auteurs. Les nombreux tarifs – qui varient selon le type d’utilisation – sont négociés avec les associations d’utilisateurs et doivent ensuite être validés par l’Etat.

La LDA prévoit une série de restrictions au droit d’auteur, listées dans le chapitre 5.
L’utilisation d’une œuvre à des fins privées, la réalisation de copies de sauvegarde, ou encore la citation d’œuvre font partie de ces restrictions, et ne sont donc pas soumises au droit d’auteur.

Par contre les supports vierges, destinés à enregistrer des œuvres, sont soumis à une taxe sur les droits d’auteur. Comme l’explique M. WEGENER, une négociation est en cours avec les producteurs de téléphones portables sur le montant de la taxe auxquels ceux-ci devraient être soumis en tant que supports vierges.

Dernier élément évoqué, l’art. 15 LDA qui précise que le propriétaire d’une œuvre originale ne peut la détruire sans le consentement de l’auteur. Nombreuses questions des archivistes dans la salle, visiblement préoccupés la divergence entre cet article et leurs habitudes de travail.

Documents audiovisuels: droit international

Le second conférencier est Marc WEHRLIN, président du conseil d’administration de la Cinémathèque suisse et fondateur de SUISSIMAGE. Son exposé est un récapitulatif de la législation internationale sur les droits d’auteurs pour les documents audiovisuels.

Premier élément : l’accord-cadre entre la Fédération internationale des producteurs de films (FIAPF) et l’Association des cinémathèques européennes (ACE). Cet accord a été d’abord adopté en 1971, puis actualisé en 2009. Il règle l’accès aux films conservés dans les cinémathèques ainsi que la réalisation des copies de sauvegarde. Selon M. Wehrlin, si la pratique est assez libérale - les cinémathèques peuvent montrer leurs films sans restriction à l’intérieur de leurs murs, et, sous certaines conditions, sur internet – le texte de l’accord reste assez restrictif. Les producteurs acceptent les pratiques des cinémathèques car ils reconnaissent leur utilité, mais préfèrent garder un cadre législatif prohibitif.

Deuxième élément : les modifications de la LDA sur la question des œuvres orphelines en 2008. Les sociétés de gestion peuvent désormais céder les droits des œuvres orphelines contre rémunération (Art. 22b). Les institutions culturelles, de leur côté, sont autorisées à faire des copies d’œuvres orphelines à but non lucratif (Art. 24 1bis). Les sommes ainsi récoltées sont mises de côté au cas où un ayant droit se manifesterait. Et SWISSPERFORM a mis en place un nouveau tarif pour l’utilisation de droits orphelins (TC 13). Ces modifications ne sont valables que pour les œuvres produites en Suisse, et leur application n’est pas encore réglée.

Troisième élément : un cadre juridique européen en cours d’élaboration. Un Livre vert sur l’utilisation en ligne d’œuvres audiovisuelles publié en 2011 discute les chances et les risques offerts par internet pour les producteurs, auteurs et consommateurs d’œuvres audiovisuelles. Parallèlement, un projet de directive européenne sur les œuvres orphelines a été accepté par la Commission européenne. Le projet prévoit l’utilisation libre des œuvres orphelines à des fins culturelles et éducatives et prévoit la mise en place d’un registre central européen des œuvres orphelines.

Quatrième élément : le débat engagé en décembre 2011 au sein de l’OMPI sur les limitations au droit d’auteur pour les bibliothèques et les services d’archives. Grâce aux efforts combinés de pays comme le Brésil et de l’Association internationale des bibliothèques (IFLA), une série d’exceptions au droits d’auteur pour les bibliothèques et archives sont désormais à l’ordre du jour de l’OMPI, qui aboutiront peut-être sur un accord international.

Cinquième élément : Fair Use. La Convention de Berne pour la protection des œuvres littéraires et artistiques prévoit (Art. 9 al. 2) la possibilité pour les Etats signataires d’autoriser dans certains cas la reproduction d’œuvres soumises au droit d’auteur, pour autant que celle-ci ne nuise pas au cycle commercial de l’œuvre. Cette logique du Fair Use permet la mise en place de solutions pragmatiques là où l’arsenal juridique est inadapté. Selon M. Wehrlin, la pratique en Suisse en ce domaine est plutôt satisfaisante, comme le démontre le faible nombre de cas d’abus de droit d’auteur traités dans les tribunaux.

Licences d'utilisation

Me. Rolf A. TOBLER et Stephan HOLLÄNDER ont ensuite introduit le thème des licences d’utilisation.

La particularité helvétique en terme de contrat de licences est que ceux-ci ne sont pas inclus dans le Code des obligations, qui règle pourtant le droit des contrats. En réalité, chaque licence est un type de contrat sui generis, ayant valeur juridique en vertu du principe de la liberté contractuelle. Il n’y a donc pas de schéma normatif pour une licence. A l’acheteur de vérifier si la licence qu’il achète – le plus souvent contre un droit d’utilisation – est conforme au droit suisse, et ne comporte pas d’abus.

Un exemple récent de conflit lié aux contrats de licence est le procès qui oppose à Zurich depuis décembre 2011 la bibliothèque de l’ETH à trois grands éditeurs scientifiques. Ces derniers veulent faire interdire le service d’envoi d’articles par courrier électronique de la bibliothèque, qui contredit selon eux les termes de leur contrat de licence. Affaire à suivre.

L’après-midi était consacrée à des études de cas.

Etude de cas: Institut National de l'Audioviduel

Jean-François DEBARNOT, directeur juridique de l’Institut National de l’Audiovisuel (INA), a tout d’abord présenté son institution et les solutions mises en place pour donner accès aux contenus audiovisuels via le portail ina.fr.

L‘INA est un établissement public français sont les deux missions principales sont le dépôt légal des programmes audiovisuels et sonores français et la conservation et l’exploitation de ses fonds d’archives. Au titre de dépôt légal, l’INA enregistre en continu quelques 300'000 heures de programmes par an. Les fonds audiovisuels, quant à eux, représentent 1.5 millions d’heures de programmes, ainsi que 2 millions de photos.

Pour donner accès à ces contenus sur internet via le portail ina.fr, l’INA a passé une série d’accords-cadres avec les sociétés de gestion de droits françaises. La particularité de ces accords est d’inclure la cession des droits d’exploitation pour tous types de support des œuvres concernées. Ainsi l’INA a passé des accords avec les sociétés d’auteurs, les syndicats de journalistes, les réalisateurs, et les artistes-interprètes, pour pouvoir exploiter - y compris commercialement - les programmes conservés.

Cette stratégie permet d’offrir au public quelques 300'000 documents gratuitement en streaming, tout en conservant des sources de revenus via la publicité sur le site, la participation à des expositions, ou la réalisation de copies à la demande.

En termes de contenus, le site de l’INA est très éditorialisé. Il propose de nombreux dossiers d’actualités, programmes thématiques, listes de lectures et jeux interactifs.
Parmi cette offre foisonnante, nous signalons ici deux ressources d’intérêt pour les historiens. Les fresques hypermédias permettent de naviguer par timeline, par carte ou par sujet dans des ressources thématiques. Voir notamment la fresque consacrée au Jalons pour l’histoire du temps présent ou celle consacrée à Charles de Gaulle. La rubrique Grands Entretiens propose de longues interview vidéo avec des personnalités culturelles et artistiques, intégralement indexées et retranscrites. Dans la section consacrée à l’histoire, on pourra écouter Pierre Nora, Emmanuel Leroy-Ladurie ou encore Robert Paxton parler de leur parcours intellectuel et de leur pratique d’historien. Chaque interview dure plus de quatre heures !

Etude de cas: Phonothèque nationale suisse

Pio PELLIZZARI, directeur de la Phonothèque nationale suisse, a présenté le réseau de postes d’écoute mis en place par la Fonoteca depuis 2007. A la suite de pressions institutionnelles pour augmenter le nombre de ses utilisateurs, la Fonoteca s’est trouvée confrontée à un défi : comment une institution d’archives sonores peut-elle élargir son public, alors qu’elle se trouve au Tessin et que les documents qu’elle conserve sont protégés par le droit d’auteur ? La solution, négociée avec les sociétés de gestion de droits, a consisté à établir un réseau de postes d’écoutes sécurisés dans les institutions publiques. Plus de 40 postes d’écoute ont étés ainsi mis en place dans les villes de Suisse, qui donnent accès aux quelques 20'000 documents numérisés sur les 350'000 que conserve la Fonoteca. L’accès aux documents est libre, mais toute copie est impossible, et les données du réseau sont cryptées pour éviter tout piratage.
L’opération semble être une réussite, comme le démontrent des chiffres de consultation en hausse constante.

Etude de cas: notrehistoire.ch

Enfin Claude ZÜRCHER, collaborateur des archives de la RTS et rédacteur en chef du portail notrehistoire.ch, a présenté le partage collaboratif en ligne de documents d’archives tel qu’il se pratique sur notrehistoire.ch.

Né en 2009 à l’initiative de la FONSAT, le site notrehistoire.ch invite les internautes à partager leurs archives privées sur internet, avec l’objectif de constituer une mosaïque d’archives sur l’histoire de la Suisse romande. En trois ans le site a attiré plus de 1'700 membres qui ont publié près de 27'000 documents. Le site propose une interface très simple pour la gestion des documents et offre des fonctions de réseau social. Un modérateur à temps partiel s’assure qu’il n’y pas de propos racistes, malveillants, ou d’abus de droit.

Comme l’explique M. Zürcher, le public reste mal informé sur les droits d’auteur et la protection des données personnelles. La distinction entre un document original et une reproduction publiée est souvent mal comprise, ce qui mène parfois à la publication de documents protégés, qui doivent ensuite être retirés du site. La situation est similaire pour la protection des données personnelles, qui force parfois au retrait de photographies représentant des individus sans leur accord.

De toute façon, « on navigue dans une zone grise permanente en termes de droits », conclut M. Zürcher. Mieux vaut prendre l'initiative et se prévaloir du Fair Use, quitte à assumer quelques risques, que d’attendre une clarification légale pour chaque cas de figure qui ne risque pas d’arriver de sitôt.

Evènement: 
L'utilisation de documents audiovisuels: questions juridiques
Organisé par: 
Memoriav, BIS
Date de l'événement: 
02.02.2012
Lieu: 
Universität Bern
Langue: 
f
Report type: 
Conference