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Comment écrire l’histoire de la Suisse dans une perspective transnationale ?

Autor / Autorin des Berichts: 
Pauline Court



Citation: Court Pauline, « Comment écrire l’histoire de la Suisse dans une perspective transnationale ? », infoclio.ch comptes rendus, 2011. En ligne: infoclio.ch, <http://dx.doi.org/10.13098/infoclio.ch-tb-0004>, consulté le


La question de l’histoire nationale pose de nombreux questionnements sur le rôle social de l’historien et sur l’utilité de l’histoire. Dans une période où les historien-ne-s endossent le rôle de « briseurs de mythes » ou se dégagent d’une histoire « instrumentalisée », on peut se demander où ceux-ci se situent par rapport à l’écriture de l’histoire nationale. Le concept de nation étant par ailleurs difficilement compatible avec un monde mondialisé, il semblerait dès lors que l’historien-ne de la nation trouve une solution en explosant les frontières du pays. La démarche est pertinente car, non seulement elle met enfin en valeur l’interdépendance des pays européen, mais offre également au public « un grand récit mondial ».

Le débat, qui était animé par François WALTER, professeur d’Histoire nationale à l’Université de Genève et auteur de la récente publication en cinq volumes Histoire de la Suisse, a été abordé à travers trois questions centrales : l’intérêt récent pour l’histoire suisse, son enseignement et qu’est-ce que l’histoire transnationale. Pour cette discussion, l’Institut national genevois avait invité Joëlle KUNTZ, journaliste au Temps et auteure du best seller l’Histoire suisse en un clin d’œil , Irène HERRMANN, chargée de cours à l’Université de Genève et professeure à l’Université de Fribourg , Christoph CONRAD, professeur d’Histoire contemporaine à l’Université de Genève et Serge PAQUIER, professeur d’Histoire contemporaine à l’Université de Saint-Etienne.

Ces dernières années, une nette recrudescence d’intérêt pour l’histoire suisse est perceptible au vu du nombre de publications (journalistiques, historiques, romandes et alémaniques) et du chiffre des ventes. Le livre de Joëlle Kuntz, l’Histoire suisse en un clin d’œil, à l’origine destiné à des touristes russes, a été vendu en Suisse à plusieurs milliers d’exemplaires. On peut dès lors se demander quelles sont les raisons d’un tel intérêt pour l’histoire suisse.

Si, pour Joëlle Kuntz, le succès de son « petit bouquin » est la manifestation d’un manque ou du besoin des Suisses de comprendre leur pays, elle met également en évidence sa démarche consistant à connaître son public afin de répondre à un certain nombre de ses questionnements. Pour Christoph Conrad, il est normal – et même nécessaire, il y reviendra à plusieurs reprises – de ressentir de l’intérêt pour son propre pays, de concevoir sa propre histoire nationale comme intéressante et particulière. On perçoit toutefois un intérêt plus marqué de la part des petits pays qui luttent pour maintenir une identité propre face à la mondialisation, ou encore de la part des pays nouveaux, tels que les nations qui se sont formées après la chute du mur de Berlin et tentent d’expliquer leur histoire nationale. Dans de nombreux cas, cette histoire est traduite en anglais et s’adresse également à un public étranger. Mais la cause de ce nouvel engouement pour l’histoire nationale peut également être attribuée à la montée populiste.

En outre, la Suisse ayant traversé plusieurs crises importantes depuis près de vingt ans, on peut se demander si ce « séisme identitaire » a en quelque sorte attiré l’attention du monde sur la Suisse ; question à laquelle Irène Herrmann répond négativement. Si ces crises ont eu d’importants effets sur la Confédération et révélé une quête de passé de la part des Suisses, il semblerait que l’attention des étrangers reste anecdotique et, selon l’expérience de l’historienne, peu encline à écouter les résultats de la recherche actuelle qui tend à briser les mythes du pays.

L’image de la Suisse traditionnellement repliée sur elle-même, convaincue de pouvoir se tirer de toute situation est encore plus solidement ancrée à l’intérieur du pays. Ce sentiment est plus ou moins fort en fonction des relations que la Suisse entretient avec ses voisins (par exemple exacerbé durant la Seconde Guerre mondiale, ou lors des votations contre l’adhésion à l’Europe en 1992). Or la Suisse est entourée de Sonderfälle, et Christoph Conrad insiste sur l’importance de l’intérêt des Suisses pour leur histoire. L’écriture de l’histoire nationale consiste dès lors à prendre un besoin particulier et à le transformer en un objet d’analyse, car l’historien « briseur de mythe » n’est pas forcément utile au public. Il faut lui offrir de grandes interprétations et, en soi, l’histoire mondiale fait office de « grand récit ».

L’intérêt pour la Suisse à l’étranger est à nouveau abordé cette-fois à travers le fédéralisme et l’état-providence, des centres d’intérêt évidents de la recherche académique étrangère et des valeurs suisses qui pourraient contribuer à la construction européennes.

L’histoire nationale ne peut non plus être abordée sans évoquer son enseignement, lequel, selon François Walter, poserait quelques problèmes en Suisse. Le grand « récit national » n’étant plus pertinent, comment peut-on encore enseigner l’histoire nationale en Suisse ?

Selon Serge Paquier, c’est en tentant de dépasser les mythes de l’histoire, de nuancer les succès de certains épisodes de l’histoire suisse à travers l’étude des archives. Irène Herrmann appuie le fait que l’histoire suisse doit être insérée dans l’histoire de l’Europe car les deux sont indissociables.

Ainsi l’écriture de l’histoire nationale dans une perspective transnationale semble être la manière la plus cohérente de se référer au passé d’un pays dans un monde mondialisé. Une nouvelle génération de chercheurs/euses tente dès lors d’exploser les frontières nationales, mais la question se pose maintenant de vulgariser cette approche et de casser les anciennes représentations. Les jeunes générations, possédant elles-mêmes un vécu transnational et vivant tous les jours la mondialisation médiatique à travers Facebook ou Twitter, sont déjà familiarisées avec cette conception. De même, dans des villes telles que Genève, une majorité d’étudiant-e-s sont d’origines étrangères, revendiquent un passé personnel qui dépasse les frontières. Sceptique à un retour du « grand récit national », Christoph Conrad insiste sur une histoire nationale « science sociale », sur une étude des processus internationaux à l’échelle nationale. L’histoire suisse regorgeant de phénomènes passionnants, il est nécessaire d’en faire une « histoire-problème », non nationale mais ouverte vers l’extérieur. C’est, selon l’historien, l’objectif atteint des cinq volumes de François Walter.

Finalement, à la question du public « comment écrire l’histoire suisse dans une perspective transnationale » il est tout d’abord signalé que l’histoire suisse est inévitablement insérée dans un contexte qui dépasse ses frontières. Depuis la formation du pays, « tout en Suisse est transnational ». Concrètement, il s’agit selon Conrad, de prendre sa nation comme point de départ et de regarder les processus (politiques, migratoires,…), les mouvements, les transferts, les circulations, etc. Le pays ne doit pas être considéré comme un acteur indépendant (du reste, les nations sont elles-mêmes des fonctions de processus globaux et internationaux) et, s’il ne faut pas négliger les appartenances nationales du XIXe et du XXe siècle, il existe d’autres angles d’approche pour les décrire.

Pour illustrer ces propos et montrer comment sortir d’une success story nationale, Serge Paquier se réfère à l’histoire de l’électricité, domaine dans lequel la Suisse a très bien réussi mais qui ne peut être conçu sans être placé dans le contexte de la construction du grand système technique qui s’élabore à l’échelle intercontinentale. La Suisse n’a pas tout inventé, certes, mais une industrie suisse a néanmoins pu émerger malgré la concurrence des grands géants allemands et américains, en d’autres termes se faire une place par rapport à un phénomène de mondialisation.

Evènement: 
Table ronde: « Comment écrire l’histoire de la Suisse dans une perspective transnationale ? »
Organisé par: 
Institut national Genevois
Date de l'événement: 
31.03.2011
Lieu: 
Genève
Langue: 
f
Report type: 
Conference
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